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    PROLOGUE

     

    Je me suis aperçu que de raconter sa guerre d’Algérie n’intéressait pas grand monde. J’ai donc pensé qu’il valait peut-être mieux l’écrire. J’ai donc décidé de me lancer dans ce récit plus de quarante ans après. Je le fais surtout pour mes proches, ma femme, mon fils, mes petits enfants et mes amis afin qu’ils en aient connaissance.

    J’espère aussi que ce livre permettra de rétablir quelques vérités pas toujours agréables à dire et à entendre. C’est prétentieux mais j’aimerais aussi que les médias arrêtent de nous « bassiner » avec la guerre du Vietnam. Parlons un peu plus de notre histoire et laissons les autres parler de la leur. Soyons un peu plus respectueux des milliers de jeunes appelés qui ont laissé leur vie dans cette guerre. Mes dernières sources font état de près de trente mille morts. Cette guerre a quand même duré huit ans.

    Je suis certain que le peuple algérien ne nous en voudra pas de penser un peu plus à ces évènements. Les autorités allemandes et françaises participent bien, côte à côte, aux commémorations de la dernière guerre mondiale.

    Ce livre n’est pas un roman mais une réalité, la mienne, pas celle des autres. Je n’ai pas la science infuse en la matière.

    J’en ai peut-être bavé mais je suis certain que d’autres soldats  ont souffert plus que moi. Depuis deux ou trois ans cette partie de ma vie me pèse. J’en rêve la nuit. Pourquoi ? Je ne me l’explique pas. J’ai donc pensé, peut-être à tort, que l’écrire soulagerait ma conscience. Certains passages de mon récit sont très détaillés. L’explication en est simple. J’ai ramené une cinquantaine de photos éloquentes et un peu de courrier. Je n’ai donc pas de mérite à me souvenir de certains faits dans le détail. J’ai intercalé quelques photos qui suffisent à elles seules à expliquer beaucoup de choses.

    Je ne vous raconterai pas tous nos accrochages. Comme je vous l’ai déjà expliqué ce n’est pas le but de mon livre. Je vous en relaterai juste quelques-uns qui ont été des faits marquants pour moi. D’autre part j’ai la mémoire qui flanche un peu cinquante ans après.

     

    MES CLASSES

    En temps que sursitaire, je n’ai intégré la communauté militaire qu’en juillet 1959 à l’âge de vingt et un ans. Je n’ai pas rejoint directement l’Algérie comme certains, ni l’Allemagne comme beaucoup. Je me suis retrouvé à faire mes classes au 1er régiment d’artillerie marine à Melun. Actuellement ce régiment n’est plus  à Melun mais à Laon dans l’Aisne.      

    L’infanterie et l’artillerie marine n’ont rien à voir avec les bateaux. Ces deux corps d’armée ont été créés pour la défense de nos colonies.

    L’artillerie ce n’est pas l’infanterie. Je me suis donc dit, dans ma petite tête : chouette je suis tranquille pour la suite.

    Erreur, grossière erreur.

    A Melun, je me retrouve affecté dans une section d’apprentissage de conduite automobile bien qu’ayant déjà mon permis voiture légère dans le civil. Il s’agit d’apprendre à conduire des poids lourds, en l’occurrence, à l’époque, des GMC.

    GMC est l’abréviation de la société américaine « General Motor Corp ».

    Cet apprentissage est bien plus difficile que l’équivalent dans le civil.

    Nous apprenons notamment à passer les vitesses sans faire « crier » la boite.

    La technique consiste à pratiquer ce que l’on appelle le double pédalage. Il faut débrayer et embrayer deux fois avec un coup d’accélérateur au point mort avant de passer la vitesse.

    Nous apprenons aussi à rentrer en marche arrière dans un garage avec seulement dix centimètres de jeu de chaque côté.

    Nous passons sur des ponts étroits et très en pente avec un arrêt au milieu. Nous devons utiliser le crabot  pour redémarrer, sans reculer dans la pente.

    Le crabot est un système mécanique qui permet, par l’intermédiaire d’un levier, d’avoir toutes les roues du véhicule motorisées. Nous utilisons le petit accélérateur manuel pour démarrer dans la pente.

    Cet accélérateur existe aussi sur jeep.

    Nous participons également à un gymkhana autour de quilles posées au sol.

    Nous réalisons des marches arrière à angle droit le long d'un trottoir en restant le plus parallèle possible et sans toucher au trottoir. Il y avait certainement d'autres réjouissances mais je n'en ai pas souvenirs. Tout cela se faisait sur un GMC sans direction assistée bien sûr.

    Une connaissance approfondie des différents moteurs ainsi que des dépannages éventuels nous sont également inculqués.

    Notre instructeur est un maréchal des logis chef assez sympa de trente cinq à quarante ans.

    Bien sûr nous ne faisons pas que de la conduite automobile. De temps en temps nous vcisitons la campagne environnante avec le sac à dos et en arme mais sans munition. Nous allons également sur le pas de tir pour nous entrainer sur des cibles. Je suis un très bon tireur mais ça je le savais déjà. La suite de mon " sapin " me démontrera que j'ai eu tort d'exhiber mes talents.

    C'est à Melun que je vois un fusil Garant pour la première fois. C'est le fusil de débarquement des américains en juin quarante quatre.

    Nous apprenons à le démonter et à le remonter. C'est une vrai saloperie. Il a un nombre important de pièces si bien qu'il s'enraye souvent. Je n'ai jamais revu ce fusil par la suite. 

    Pourquoi apprendre à démonter et remonter ce fusil s'il ne nous est pas attribué en Algérie.

    Au cours de mes trajets sur Paris en train  j’ai toujours réussi à échapper aux contrôles militaires.

    Quant aux contrôles dans la caserne, il n’y en a pratiquement jamais eu. Je soupçonne les gradés d’être un peu conciliants pour ne pas dire complices.

    Après tout, nous ne sommes que de passage et plus des trois quarts d’entre nous partiront en Algérie. Ils nous foutent donc la paix.

    Dans l’ensemble les gars de ma section sont sympa et nous n’avons pas été les derniers à faire les blagues classiques des troufions.

    Connaissez-vous le lit en portefeuille ? Le jeu consiste à plier le drap du dessus en deux afin d’empêcher toute pénétration entre les deux draps : ça marche à tous les coups.

    Nous avons également ligoté des copains sur leur lit pendant leur sommeil. Le réveil n’est pas triste : certains paniquent.

    Autre distraction. La tête de notre lit est encastrée dans une espèce d’alcôve avec un placard à gauche et un autre à droite. Nous profitons lâchement du sommeil du copain pour soulever son lit par les pieds arrières et le plaquer contre cette armoire. Notre dormeur tombe cul par dessus tête, enfermé dans l’alcôve. Croyez- moi, ça réveille.

    Voulez-vous encore d’autres blagues du même acabit ?

    Pendant le sommeil de votre pote, vous lui mettez le petit doigt dans un verre d’eau. Il paraît que ça fait pisser au lit. Je ne me souviens pas du résultat : personne ne s’en est vanté.

    Les godillots à clous que l’on frotte l’un sur l’autre de plus en plus vite pour interrompre les ronflements du dormeur. Nous l’avons essayé et ça marche. Le copain finit par s’étouffer plus ou moins et il se réveille.

     

    Après un stage de trois mois dans cette discipline et l’obtention de mon permis poids lourds et en guise de remerciements, l’armée nous parachute en manœuvres à Mourmelon dans la Marne.

    Là, j’ai encore un coup de chance.

    Je me retrouve affecté comme chauffeur de la jeep du vaguemestre, un adjudant assez sympa.

    La chance, je l’ai eu au début pendant mes classes et pas après. J’aurais préféré l’inverse.

     

    Heureusement que je n’ai pas participé aux manœuvres car le temps était plutôt mauvais. Il a beaucoup plu si bien que la boue est présente partout.

    Cela nous donne une petite idée du calvaire des poilus de la guerre de 14-18. Pendant l’hiver 44-45 les soldats n’étaient pas mieux lotis, dans le froid et la neige des Ardennes.

    J’ai deux histoires croustillantes de cette période à Mourmelon à vous raconter. Au retour de la poste avec le courrier je me souviens avoir plus ou moins raté un tonneau dans un virage, au grand « dam » de mon adjudant qui n’a rien dit mais a serré les fesses : moi aussi d’ailleurs.

    Il faut dire, qu’à l’époque, j’étais un peu casse-cou. J’avais passé ma jeunesse à fréquenter les stades : foot, basket, athlétisme, vélo, natation …

    J’étais nettement moins bon à l’école.

    Autrement dit,  j’avais la pêche.

    A Mourmelon, j’ai retrouvé un copain d’enfance. Inutile de vous dire que, pendant nos temps libres, nous ne nous sommes pas lâchés. Nos manœuvres se sont terminées par une escapade non autorisée en dehors du camp. C’est quand même plus facile de foutre le camp sans rien dire que d’essayer d’avoir une perme.

    D’autant plus qu’une perme est presque toujours refusée.

    Nous avons pris d’assaut tous les bars du coin et peut-être essayé de draguer un peu les nanas. Je ne me souviens pas avoir rencontré de filles « canon » dans le coin. Nous sommes rentrés au camp, dans la nuit, accompagnés d’une biture mémorable.

    Par égard pour les âmes sensibles, je ne vous raconterai pas la suite de mon ivresse dans mon plumard à étage : gare à celui d’en dessous. Ce n’est pas « jojo ».

    Une sacrée gueule de bois s’est accrochée à nos « basques » pendant toute la journée du lendemain. Mon pote et moi nous nous sommes séparés quelques jours après pour regagner notre caserne respective.

     

    A ce stade de mon récit je me dois de faire une parenthèse. Si j’utilise beaucoup de mots d’argot dans mon récit c’est par intention. J’ai voulu rester au plus près de la prose utilisée à l’époque par les troufions.

    Je n’ai pas la prétention d’écrire une œuvre de haute littérature. J’espère que les érudits ne m’en voudront pas et qu’ils pardonneront mes écarts de langage.

     

    De retour à Melun, nos classes se sont achevées par la divulgation de notre future affectation attendue et redoutée. Je me suis retrouvé, comme la plupart, avec une destination algérienne, au 1/42e régiment d’artillerie basé à Carnot.

    Oui, oui, vous avez bien entendu.

    Je fais mes classes en France dans un régiment d’artillerie coloniale et, par la suite, je suis muté en Algérie dans un régiment d’artillerie métropolitaine. Les mystères de l’armée française.

    Ne cherchez pas ce régiment, il a disparu.

     

     

     

    Je pense qu’il n’existe plus : peut-être sous un autre nom !

    Avec mon permis, je vais sans doute piloter une jeep ou, au pire, un camion.

    Vous allez voir que les voies de l’armée, comme les voies du seigneur, sont impénétrables.

     

    Pour une surprise, ce fut une surprise.

     

    Carnot se trouve, à environ cent cinquante km à l’ouest d’Alger, entre Affreville et Orléansville. Une autre parenthèse. Je n’utiliserai dans mon récit que des noms de villes et villages utilisés avant 1962 . Tous les noms à consonance européenne ont été changés à l’indépendance de l’Algérie.

    J’ai réussi à trouver une carte de l’époque.

    Kherba et Rouina ont conservé leur nom.

    Affreville est devenu Khemis Miliana

    Orléansville est devenu Chlef

    Duperré est devenu Ain Delfa

     

    Avant de partir pour l’Algérie une perme de quelques jours n’est pas de refus mais pas toujours agréable surtout pour les parents qui se doivent de faire bonne figure mais le cœur n’y est pas.

    J’engrange un maximum de sorties avec les copains.

    Je me couche tôt le matin presque tous les jours. A l’époque les sorties consistent surtout à aller danser dans des bals.

    J’étais assez friand de ce genre de distractions qui vous permettent de voir des filles de près et surtout de les toucher.

    Les boites de nuit n’existaient pas ou alors très peu. Je ne suis pas prêt de refaire la fête. Après moult recommandations des parents, je regagne Melun.

     

    A la caserne nous traînons quelques jours entre le foyer et notre dortoir. Imaginez des dizaines de troufions au foyer : c’est très bruyant. Le foyer est le bar des simples soldats. Les bières englouties et le stress à l’approche du départ ne font pas bon ménage.

    Il y a souvent des bagarres.

    Nous sommes consignés dans la caserne avant notre départ. Nous avons droit à la série de piqûres traditionnelles. Nous sommes tous à la queue leu leu. Les infirmiers ont vraiment de l’entraînement. L’un d’eux nous badigeonne l’épaule, l’autre plante l’aiguille et le dernier nous injecte le produit. Certains ont du mal à supporter ces piqûres. Ils tournent carrément de l’œil. D’autres sont malades après car ils n’ont pas respecté le jeûne qui doit précéder.

     

    MON VOYAGE VERS L’ALGERIE

     

     

    Nous partons de Melun pour Marseille le 9 novembre 1959.

    Le voyage en train est pénible car c’est un train spécial militaire. Le convoi s’arrête partout, et parfois longtemps, pour laisser passer les trains réguliers. Notre passage à la caserne de Marseille me laisse un mauvais souvenir.

    Nous sommes agressés par des punaises toute la nuit. C’est la première fois que je suis confronté à ce genre de petites bestioles. Des milliers de soldats transitent tous les jours et la propreté laisse à désirer.

    Après une nuit à Marseille nous embarquons sur le bateau transport de troupes « Ville d’Alger ».              Je me demande combien de soldats sont sur ce navire : plusieurs milliers sans doute.

     

    Toutes les tenues militaires sont de sortie. C’est vraiment un échantillonnage complet. C’est celle des spahis que je préfère, surtout que certains ont déjà revêtu leur cape rouge d’hiver.

    Le confort à bord est pour ainsi dire inexistant. Quant à la nourriture, c’est franchement dégueulasse. Nous sommes logés à fond de cale, chacun avec un transat pour essayer de dormir. Dans mon coin il n’y a même pas un hublot. La mer n’est pas mauvaise. Nous sommes juste un peu secoués au large de la Corse. Rien de bien méchant et pourtant, après quelques heures de navigation, les premiers symptômes de mal de mer commencent à tirailler certains d’entre nous. Pas mal de gars vomissent et l’odeur devient vite désagréable.

    Je remonte sur le pont avec mon transat respirer l’air du large et terminer ma nuit dans de meilleures conditions, emmitouflé dans ma capote. La capote est le par-dessus du militaire. Je préfère avoir froid plutôt que de respirer le « dégueuli » et finir par être malade à mon tour.

    J’ai donc échappé à ces malaises et débarqué à Alger dans de bonnes conditions après trente cinq heures de navigation.

    Tout le monde est sur le pont à l’approche de la ville qui est vraiment très belle. Je comprends pourquoi on l’appelle Alger la Blanche.

    La caserne de transit n’est pas mieux que celle de Marseille.                                                                     Le lendemain nous partons en train pour notre lieu de villégiature. Nourri et blanchi au frais de la princesse comme on dit. Je m’en serais bien passé de cette princesse. Je crois que ce trajet nous a fait prendre conscience que la métropole est désormais bien loin. La traversée de gorges profondes sans arbre nous impressionne.

    La voie ferrée longe la RN4 et l’oued Chélif sur une bonne partie du parcours. Je vous en reparlerai souvent de cet oued.

    Oued est un mot arabe qui veut dire cours d’eau. Les oueds sont souvent desséchés une partie de l’année mais peuvent également avoir des débits importants en hiver.

    Notons au passage que ce fameux train de transport n’est équipé que de deux ou trois wagons de voyageurs et de quelques wagons de marchandises.

    Sa particularité est d’être pourvu, devant la locomotive, d’un ou deux wagons à plateaux découverts qui sont sacrifiés en cas de passage sur une mine. Une petite section de militaires armés veille à la sécurité du train.  

    La plaine de l’oued Chélif que nous traversons est surprenante et très belle. Abstraction faite des montagnes qui la bordent, on se croirait en Beauce.

    De vastes cultures céréalières plantées parfois d’oliviers.

    De temps en temps un bouquet d’arbres indique la présence d’un village ou d’une grosse ferme.

    Nous longeons aussi de grandes orangeraies.

    Ah ! Les oranges d’Algérie : les meilleures que j’ai mangées. Elles sont très grosses et ont une peau épaisse. Elles sont juteuses et très sucrées. J’ai participé plusieurs fois au vol organisé de ces oranges pour améliorer notre ordinaire. Ces orangeraies sont souvent surveillées par un gardien qui nous laisse faire de peur de représailles. N’importe comment il ne va pas prendre de risques pour un salaire de misère.

    Rassurez-vous, braves gens, en deux ans j’ai peut-être rapiné trois ou quatre fois sans plus.

     

    Notre arrivée à Carnot passe à peu près inaperçue. Il faut dire que nous n’étions qu’une douzaine de nouveaux.

    Le passage aux affectations nous donne notre lieu de villégiature dans les quatre différentes batteries et le Poste de Commandement du régiment : en abrégé le PC.

    Nous croisons pas mal de troufions qui n’ont pas l’air d’être débordés. C’est une vrai fourmilière.

    Je me suis souvent demandé à quoi pouvait servir tous ces militaires au PC d’un régiment. Il y a pas mal de gradés.

    Qui a dit qu’il y a de la planque dans l’air ?

    C’est ainsi que je me trouve affecté à la 4e batterie basée à Kherba au pied des montagnes du massif El Anay. 

     

     

    Une parenthèse, pour les néophytes. Cette batterie  est, à peu près, l’équivalent d’une compagnie dans l’infanterie.

     

    Le paquetage en bandoulière, nous sommes prêts pour notre ultime destination. Un camion GMC nous attend. C’est certainement le meilleur camion transport de troupes de l’armée. J’aurai l’occasion d’en reparler.

    Accostés par des troufions du PC avant notre départ, j’apprends, avec stupeur, que ma future batterie est en réalité un commando de chasse. Tous sont unanimes. Tu n’as pas de chance, il n’y a pas pire dans le coin.

    Qu’à cela ne tienne, je verrai bien. N’importe comment je n’ai pas le choix : en route pour le commando.

     

    Je n’avais vraiment pas la moindre idée de ce qui m’attendait.

     

    Et oui, peu de gens savent qu’il y avait des commandos du contingent en Algérie et encore moins dans l’artillerie.

    Pour votre gouverne messieurs les médias il n’y avait pas que des Commandos Marine à l’époque.

    Je n’ai jamais compris pourquoi on associe toujours les commandos à la marine. Il n’y a pas que la marine qui en possède. Le notre en est la preuve.

     

    C’est quand même incroyable que tant de personnes racontent tout et n’importe quoi sur des sujets qu’ils ne connaissent pas. On pourrait écrire des dizaines et des dizaines de livres sur l’incompétence, dans tous les domaines, de certains professionnels de l’écriture.

      

    Je me suis toujours demandé comment des gens, réputés intelligents, pouvaient avoir des réflexions aussi débiles sur la guerre d’Algérie.

    « Pourquoi les jeunes appelés n’ont pas refusé, ne se sont pas révoltés, contre cette guerre injustifiée et inqualifiable ».

    C’est très facile de raisonner ainsi cinquante après, surtout quand on n’y a pas participé, ni de près, ni de loin.

     

    N’oubliez pas, messieurs, que nous n’avions que vingt ans. Nous n’étions même pas majeur à l’époque. Certains d’entre nous ne sont jamais sortis de leur village natal, très peu de leur département. J’avais pas mal de copains qui savaient à peine lire et écrire.

    Je me souviens que, pendant mes classes à Melun, ils avaient la possibilité d’apprendre les rudiments de notre belle langue.

    Aujourd’hui il y a toujours des analphabètes mais il n’y a plus l’armée pour corriger ces lacunes. Le service militaire obligatoire n’existe plus. Quelle bêtise !

    Ceci est une réflexion personnelle qui n’engage que moi bien sûr.


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    LE COMMANDO

     

     

    Les commandos de chasse ont été créés par le général CHALLE pendant la guerre d’Algérie. Ils les avait appelés mes «Têtes Chercheuses ». Ils ont été supprimés après. A ma connaissance ils n’existent plus.

    D’après la presse actuelle, spécialisée en la matière, ces commandos sont les unités qui ont le plus souffert sur le terrain, plus que la légion et les paras.

    Ce n’est pas moi qui le dit.

    Une petite explication s’impose sur ces commandos de chasse. Unités combattantes équipées d’un armement léger, leur mission est d’être sur le terrain pratiquement tout le temps. Leur caractéristique principale est de pouvoir partir très vite en opération, par n’importe quel temps et pour une durée indéterminée.

    Les commandos de chasse ont parfois un nom personnalisé, souvent le nom de leur créateur, et toujours un numéro d’indicatif.

    Pourquoi Challe a créé ces commandos ?

    En 1959, les rebelles, qui ont subi de lourdes pertes, se réorganisent en unités plus petites. Ils se regroupent en katiba ou en fasila. La katiba est, à peu près, l’équivalent d’une compagnie d’environ une centaine de soldats. La fasila représente une section dans notre armée soit une trentaine d’hommes.

    A mon arrivée en 59 mon commando combattait donc des katibas et, surtout, des fasilas.

    Du fait de la dispersion des rebelles en petites unités, la guerre sur le terrain avait complètement changé. C’est pour harceler ces petites unités que le général Challe a créé les commandos de chasse. 

    Voilà la raison de notre présence quasi permanente dans le djébel et de nos nombreux accrochages, pratiquement à chacune de nos sorties. En insécurité permanente, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes de jour comme de nuit.   

    Vous allez voir, qu’en effet, nous n’avions rien à envier aux légionnaires et aux paras pour ce qui est du baroud et du casse-pipe.

    Ceci me rappelle une discussion avec un copain de travail il n’y a pas si longtemps.

    Il a mon âge et m’affirmait avoir également fait partie d’un commando en Algérie.

    A ma demande, il a été incapable de me donner le nom ou l’indicatif de son commando. Cherchez l’erreur. Pourquoi les gens veulent-ils toujours se faire « mousser » ? 

    Le mien est le commando de chasse Bertin-Mourot. Son indicatif est Kimono 40. Beaucoup de ces commandos ont comme indicatif Kimono…Il a été créé en octobre 1958 par le lieutenant Bertin-Mourot, un an avant mon arrivée. Bertin-Mourot est mort en Algérie en avril 1959. Je ne l’ai pas connu.

    Ces informations me viennent d’un copain actuel qui était au commando à son origine, salut GM, et que j’ai côtoyé pendant quelques mois. Salut également à RB, GG, MI, GV, que j’ai également connu un peu plus tard. Je n’ai retrouvé que ces cinq compagnons de baroud. Je les ai trouvés en fouinant sur tous les sites internet spécialisés. Nous échangeons nos souvenirs et nos photos plus de quarante cinq ans après.

    Ces unités, appelées « Harkas » ou « Commandos », ont les indicatifs de « Kimono », « Volontaire » ou « Partisan » associés à un numéro d’ordre.

    Notre commando est formé d’une unité de commandement, de quatre sections d’environ  trente soldats chacune et d’une petite section non opérationnelle pour l’ordinaire du camp. L’effectif est donc d’environ cent cinquante bonhommes.

    Une particularité de notre unité : elle est constituée d’une quarantaines de harkis répartis dans les différentes sections opérationnelles.

    Un harki est un Algérien, en principe pro-français qui, moyennant un salaire, s’est engagé dans l’armée. Il y a quelques gradés parmi eux. Je me souviens de l’un d’eux qui a été nommé maréchal des logis, l’équivalent de sergent, pendant mon séjour. 

    Il n’est pas dans notre section. C’est un sacré bon élément sur le terrain.

    En général, quand nous sommes au camp, les harkis vont voir leur famille, sans arme. Je ne suis pas sûr qu’ils n’aient pas un revolver dans une poche.

    Certains harkis ont déjà la cinquantaine. Il est souvent difficile de leurs donner un âge. Bien qu’ils ne soient plus très jeunes, ils tiennent le coup sur le terrain car ils ont l’habitude des marches en montagne.

    J’ai eu l’occasion de rencontrer d’autres commandos  composés presque en totalité de harkis. L’encadrement seul était européen.

    Revenons à mon commando et parlons de son équipement et de son armement.

    C’est important pour comprendre notre mission et notre engagement. Une section comme la mienne se compose de trois équipes de « voltigeurs » et de deux équipes de soutien dénommées « pièces ». Chaque équipe est constituée, en principe, de cinq à six  soldats. Au total une section comprend donc trente à trente cinq gars.

    Dans un commando une équipe de « voltigeurs » doit pouvoir se déplacer très vite sur le terrain.

    Elle est donc pourvue d’un armement léger : trois soldats avec un pistolet-mitrailleur et trois autres avec des fusils lance- grenades.

     

    Les pistolets-mitrailleurs ( PM en abrégé ) sont des MAT 49.

    MAT est l’abréviation de Manufacture d’Armes de Tulle. Le pistolet-mitrailleur est communément appelé mitraillette.

    C’est une arme assez courte et légère qui tire des balles en rafale. La MAT 49 est entièrement en acier.

    C’est un PM de qualité, léger et très maniable. Il est d’une grande simplicité de conception. Je ne l’ai jamais vu tomber en panne, même dans les pires conditions d’utilisation.

     

    Sous la pluie pendant plusieurs jours, couvert de boue, il ne s’est jamais enrayé.

    Ce PM a équipé l’armée française ainsi que la gendarmerie pendant de nombreuses années.

    Les fusils sont des MAS 36 au début, puis des MAS 49 et enfin des MAS 56. MAS est l’abréviation de Manufacture d’Armes de Saint-Etienne.

    Chaque équipe est commandée par un brigadier.

    Je fais encore une parenthèse pour vous expliquer qu’il y a une différence de dénomination entre les grades de l’artillerie et de l’infanterie.

    Dans l’artillerie, la cavalerie et le train les premiers grades sont : brigadier, brigadier chef, maréchal des logis, maréchal des logis-chef et maréchal des logis-major .

    C’est l’équivalent de caporal, caporal chef, sergent, sergent-chef et sergent-major dans les autres armes. Les grades suivants, à partir d’adjudant, sont les mêmes.

    Fermons la parenthèse.

    Les harkis sont souvent porteurs d’une musette de chargeurs pour fusil mitrailleur ou d’un équipement spécial pour le lancer de grenades à fusil.

    Cette grenade est vulgairement appelée « patate » et le fusil le « lance-patate ».

    Cette « patate » a une forme assez effilée, aérodynamique pour faciliter sa pénétration dans l’air.

    Elle est munie, à sa partie inférieure, d’ailettes directionnelles. Certaines font du bruit en vol. La technique consiste à placer la grenade au bout du fusil et à enlever la sécurité d’extrémité. Ensuite, il faut introduire une cartouche spéciale dans le canon et poser la crosse du fusil par terre pour amortir le choc. Le tir consiste à incliner et orienter le fusil selon la distance et la situation de l’objectif.

    Je ne me suis jamais servi de grenades à fusils.

    J’ai une bonne histoire, véridique, à ce sujet.

    Au cours d’un accrochage, alors que deux ou trois rebelles se sauvent, un harki a voulu leur balancer une « patate ».

    Dans la précipitation il oublie d’enlever la sécurité. Notre ami a tellement bien visé que l’un des « fel » prend la grenade dans le dos sans exploser.

    Nous avons pu récupérer notre rebelle qui était, malgré tout, mal en point. C’est une histoire qui a fait le tour du camp.

    J’ai eu l’occasion de revoir cet harki tirer des grenades. Il est très doué et, à mon avis, ce n’est pas par chance qu’il a réalisé cet exploit.

    Une équipe de soutien comprend le même nombre d’individus mais avec un armement un peu plus lourd : un chef d’équipe avec une MAT, un tireur avec un fusil mitrailleur, le fameux FM 24-29, et trois ou quatre porteurs de munitions pour le FM et équipés chacun   d’un fusil.

    Chaque porteur doit donc se coltiner, en plus de son barda, de son fusil et de ses munitions personnelles, une musette de chargeurs pour le FM : une dizaine de chargeurs dans chaque musette. La musette est en tissus épais imperméable et possède des bretelles en cuir. Nous l’installons sur le dessus du sac à dos. Vous imaginez la hauteur et le poids de l’ensemble.

    Dans chaque section il y a au moins un ou deux gars avec un fusil à lunette. Ce fusil est, bien sûr, confié aux très bons tireurs. Je ne crois pas, qu’à l’époque, beaucoup d’unités avaient ce genre d’armement.

    Je n’ai jamais eu l’occasion de m’en servir. Je vois encore les gars, possesseurs de ces lunettes, les bichonner avec soins. Ils n’ont pas toujours la lunette avec eux. Tout dépend du type d’opérations.

    A la tête d’une section de combat il y a souvent un militaire de carrière : un maréchal des logis chef, un adjudant ou un adjudant chef.

    Parfois nous avons un appelé comme nous, un sous-lieutenant qui a fait EOR ( Elèves Officiers de Réserve).

    Ce chef de section a deux ou trois maréchal des logis ou brigadier chef pour le seconder. Ils ont des cartes d’état major, une  boussole et une paire de jumelles. 

    Ils sont munis également d’un petit poste radio, le PP8 de portée limitée : deux à trois kilomètres, quelques fois moins en montagne.

    Le chef de section dispose de trois ou quatre gars avec des MAT et d’un opérateur radio avec son poste C10 pour former une petite unité de commandement. J’allais oublier. La section de commandement, composée de quelques gars, est sous les ordres directs du chef de commando. Ils ont un armement divers. Il y a également dans cette section un radio avec son C10 et un infirmier avec son sac de premiers secours.

    Une particularité de l’armement pour clore le sujet. Les chefs de section sont équipés d’une carabine américaine ultra légère : la carabine m1 US.

    Le commandant et les radios ont, en principe, un pistolet à la ceinture. Il n’est pas interdit, pour eux, d’avoir une autre arme : une MAT par exemple.

    N’oublions pas toute la panoplie des grenades individuelles : défensives, offensives, quadrillées, lacrymogènes, incendiaires.

    Je pense que c’est la grenade quadrillée qui fait le plus de dégâts.

     

    J’ai vu les dégâts causés par ces quadrillées. C’est impressionnant. Je vous en reparlerai.

    En principe ce sont les gars armés d’un PM qui ont des grenades : deux ou trois chacun. Ils les portent dans les deux poches du haut de la veste ou dans un étui en toile à la ceinture.

    Nos cartouchières sont en cuir, quelque fois en toile.

    Pour clore le sujet, n’oublions pas les fusées éclairantes pour la nuit. Quand elles sont bien lancées elles nous permettent de très bien voir autour de nous. Beaucoup de rebelles se sont faits piégés.

    Voilà pour l’armement de notre unité de combat.

    Parlons maintenant de notre équipement vestimentaire. Dans les deux à trois jours qui ont suivi mon arrivée au commando, j’ai touché un deuxième paquetage : le paquetage spécial commando.

    Croyez-moi, il porte bien son nom.

    Jugez en par vous-même.

    Il comprend : la veste camouflée, la casquette camouflée avec rabats arrières pour se protéger du soleil, le béret noir, la veste fourrée (rien à voir avec la veste matelassée de certaines unités), l’anorak avec capuche, les chaussures rangers en cuir, les chaussures pataugas en toile pour les longues marches.

     

    La chaussure pataugas ressemble, par la forme, à la chaussure de basket de l’époque. En toile imperméable avec extrémités renforcées et semelle épaisse, elle est idéale en montagne.

    Beaucoup de randonneurs en sont encore équipés aujourd’hui. 

    Je continue. La djellaba très utile pour les nuits à la belle étoile, le duvet, la toile de tente camouflée et pour clore le tout le poignard commando. Je crois que j’avais aussi une paire de gants kaki en laine. Je ne me suis jamais servi du duvet : trop encombrant à trimballer et trop voyant dans la nature.

    Il est de couleur bleu ciel. Normalement il doit être enveloppé dans la toile de tente. Comme si nous avions le temps de faire tout cela sur le terrain. Mon duvet me servait de couverture supplémentaire, en hiver, sur mon lit de camp.

    Le béret noir a la même taille que les bérets rouges et verts des paras et de la légion. Il y a une façon bien particulière de le porter. Il doit être replié à l’intérieur sur le côté gauche et relevé sur le côté droit. Il doit recouvrir légèrement le front.

    C’est facile de reconnaître les jeunes recrus. Ils donnent l’impression d’avoir une galette sur la tête.

    Ils apprendront comme tout le reste. Nous sommes tous passés par là.

     

    Avec les anciens nous apprenons aussi à retailler nos pantalons car ils sont trop larges aux jambes. Les pantalons trop larges font du bruit la nuit.

    Avouez que pour une unité comme la notre, dont la principale qualité sur le terrain est le silence, c’est un comble.  N’oublions pas non plus que la mode, à l’époque, est plutôt au pantalon fuseau.

    En fait, nous ne les retaillons pas. Nous faisons un pli intérieur tout le long de la jambe. Pour ce faire nous nous débrouillons pour trouver fil et aiguille. Comme nous le faisons nous-mêmes ce n’est pas toujours sensationnel.

    Parfois ils sont cousus avec du fil blanc quand ce n’est pas avec de la ficelle. Nous ne participons pas à un défilé de mannequins. Dans le bas du pantalon nous rajoutons un élastique. C’est la classe.

    Il faut avouer que certains ont une drôle de dégaine. Là aussi notre hiérarchie militaire nous fout la paix avec ce genre d’extravagance. Nous avons vraiment l’air d’une équipe de « branquignoles ».     

    J’ai appris à voyager léger donc pas de matériel ni de vêtements superflus.

    J’allais oublier. Nous avons aussi des caleçons longs en coton pour les nuits d’hiver. Ne riez pas mesdames car je m’en suis beaucoup servi.

    Notre tenue de sortie est identique à celle des autres hormis le béret noir, les rangers et l’insigne de commando sur la manche droite du blouson en hiver ou de la chemise en été.

    L’insigne, en tissus, représente un trident de gardian argent et noir sur fond rouge avec l’inscription commandos de chasse en blanc au-dessus du trident. C’est le général CHALLE, le créateur des commandos de chasse, qui l’a institué en 1959. Normalement nous portons également une fourragère, des épaulettes et l’insigne du régiment.

    Comme nous ne sommes pas très disciplinés, la plupart du temps nous ne mettons pas ces attributs ornementaux. En fait de sorties, elles ne sont pas très nombreuses et pour aller où ?

    Nous sommes en opération aussi bien le samedi et le dimanche qu’un autre jour de la semaine.

    Voilà pour mes nouveaux vêtements. Je suis fin prêt et équipé de neuf pour le baroud.

    Le baroud ! J’en ai fait un sacré paquet.

    L’organisation pour les opérations est bien conçue et ne laisse rien au hasard.

     

    Une section sur quatre, à tour de rôle, ne part pas pour assurer la protection du camp pendant une semaine. Les trois autres sections et le commandement sont prêts à partir à tout moment.

    C’est donc environ une centaine de gars qui constitue le commando sur le terrain. Le transport se fait par des camions GMC ou des hélicoptères Sikorsky.

    C’est la première fois que les hélico sont vraiment utilisés pour le transport de troupes : la légion, les paras et les commandos. 

    Inutile de vous dire que notre armement est prêt en permanence.

    Chacun révise sa panoplie dans l’heure qui suit un retour d’opération.

    Il nous est arrivé de rentrer au camp en fin de journée et de repartir la nuit suivante ou le lendemain matin.

    Notre survie dépend, avant tout, de l’état de notre armement individuel. Tout le monde le comprend très vite. Cette tâche consiste à nettoyer son arme personnelle et à vérifier son bon fonctionnement, à se réapprovisionner en munitions de toutes sortes.

    Il faut également vérifier les chargeurs, les alimenter en balles sans oublier les traçantes.

    Une balle traçante est une balle visible la nuit, qui permet donc de corriger son tir. En fait de visibilité, la balle ressemble à une braise incandescente de couleur rougeâtre ou jaunâtre. Nous en mettons une sur cinq ou six. C’est assez efficace.

     

    J’en ai utilisé beaucoup dans mes chargeurs quand j’étais tireur FM.

    Nous devons aussi mettre des piles neuves dans les radios et vérifier leur bon fonctionnement.

    La radio est également un élément de survie. Rien n’est laissé au hasard. Tout est important.

    J’allais oublier. Il faut inspecter son équipement vestimentaire, son état, sa propreté souvent discutable.

    A ce propos nous ne sommes pas les rois du lavage.

    La propreté de nos tenues comme de nous-mêmes laisse souvent à désirer. Nous ne sommes pas rasés de près tous les jours.

    C’est seulement quand tout a été revu et corrigé que nous nous reposons et ceci même quand nous avons passé plusieurs jours sur le terrain.

    Un début d’opération se fait à peu près toujours de la même façon.

    La consigne vient en général d’un sous-officier de la section et arrive toujours quand nous nous y attendons le moins. Messieurs, départ dans une heure. Prévoyez les rations et tout ce qu’il faut pour un, deux, trois jours. Attention on restera peut-être plus longtemps.  Nous serons ravitaillés sur place par un camion ou un hélico. Quelques copains vont chercher les rations et le pain à l’ordinaire. Le pain est un peu plus petit qu’un pain de deux livres.

     

    Nous avons un demi-pain par jour et par bonhomme. C’est suffisant. Je n’en ai jamais manqué.

    Quand je suis arrivé au commando, nous avions le célèbre pain de guerre. J’ai eu l’occasion de le goûter. C’est une calamité. De la taille d’un grand biscuit, il est dur comme du caillou. Je n’exagère pas du tout. Il faut le faire tremper dans de l’eau, pendant un bon moment, et avoir de bonnes dents pour pouvoir le croquer. Impossible de le consommer sur le terrain.

    Il y a eu, comme qui dirait, un début de révolte avec ce pain, si bien que notre commandant l’a supprimé et remplacé par du pain frais. Il a disparu de nos rations aussi vite qu’il était venu.

    Les conserves n’ont pas d’étiquette ni de marque. Les boites, principalement du corned-beef, sont d’une couleur kaki-vert.

    Le corned-beef est de la conserve de viande de boeuf. Ce n’est vraiment pas terrible comme goût. Il y a également une espèce de boite de pâté qui n’est pas trop mauvaise.   

    Chacun prépare son sac comme il l’entend. En général on vide les boites de ration pour trier son contenu.

    Nous gardons les conserves, le sucre, les sachets en poudre de café et d’orangeade, sans oublier le petit flacon de gnole. Ah ! le flacon d’eau de vie, quel souvenir ! Tout le monde le boit en opération.

    Il  nous donne un petit coup de fouet quand on est crevé.

    Il nous remonte le moral et nous occulte la peur. Ne me demandez pas de quel fruit sort cet alcool miracle. Je ne le sais pas. Je me souviens qu’il était légèrement ambré et assez fort. Je classerais ce tord-boyau miracle plutôt dans les eaux-de-vie de pommes, autrement dit un mauvais calva.

    C’est l’équivalent du fameux quart de vin pendant la grande guerre.

    Tout le reste, sachets contre le palu ou autres maladies pas toujours avouables, direction poubelle.

    Je me souviens, qu’après épuration, deux rations tenaient dans une seule boite. Toujours le souci de porter léger. Je mettais une ration dans chaque poche de côté du sac. Dans son carton d’emballage et en serrant un peu elle fait juste la taille d’une poche.

    On s’habille suivant l’époque de l’année. Nous vérifions le contenu de notre sac à dos.

    Equipés de notre armement et de notre sac bien rempli, nous nous rassemblons dehors en attente des camions. Le chef de section vérifie la présence de ses gars et leur équipement.

    Les camions arrivent dans un nuage de poussière. En général ils sont toujours à l’heure et l’embarquement se fait aussitôt dans les six ou sept GMC prévus pour notre transport.

     

    Ce sont souvent les mêmes chauffeurs. Nous nous lions d’amitié avec eux car ils font également un sale boulot.

    L’habitude de nous trimbaler sur de mauvaises pistes en font des as du volant. J’aurai l’occasion de vous en reparler. Une caractéristique de notre installation dans les camions : leur arrière est à moitié abaissé pour faire une petite plate-forme.

    Ceci permet l’évacuation rapide des camions en cas de besoins et, surtout, l’installation en batterie pendant le parcours, d’un FM sur sa béquille.

    Parfois une indiscrétion d’un sous-off permet de connaître notre destination. Je crois que, dans certains cas, il vaut mieux ne rien savoir.

    En route vers notre destin.

    Cette explication étant terminée, revenons à mon affectation dans la quatrième section du commando. Me voilà parachuté dans une équipe de soutien.

    Je suis doté d’un fusil MAS36 et chargé de porter l’une des fameuses musettes de chargeurs FM.

    La galère.

    C’est avec cette saleté de musette que j’ai le plus souffert physiquement. Le MAS36 est un fusil solide mais plutôt archaïque. Je n’ai jamais compris pourquoi l’armée avait autant de retard dans l’attribution de son armement.

    Pendant mes deux ans d’Algérie, j’ai eu le privilège de voir trois fusils différents : Le MAS36 donc, le MAS49 et le MAS56 à la fin de mon séjour. Le MAS36 n’a pas de chargeur. Il est pourvu d’un magasin à cartouches.

    L’inconvénient est de devoir réintroduire une cartouche dans le canon après chaque tir : il n’est pas automatique.

    Les deux derniers sont munis d’un chargeur mais le MAS56 est quand même plus léger et surtout plus court.

    Pour nos munitions, nous avons des cartouchières en cuir à la ceinture.

    Elles servent à mettre des balles pour le MAS36 ou des chargeurs pour le MAS49, le MAS56 et la MAT.

    Quelques copains ont des cartouchières en toile qui sont moins dures et plus légères.

    Je me demande comment ils se les ont procurées.

    Certaines unités de paras sont équipées d’une petite mitrailleuse légère à la place du FM, la AA-52, conçue pour les sauts en parachute.

    J’ai eu l’occasion d’en voir au cours de certaines opérations. Notre unité n’en a jamais vu la couleur.

    Pourtant elle nous aurait sacrément rendu service, surtout pour moi, pour les sauts d’hélico et les ratissages en forêt.

     

    Le FM mesure plus d’un mètre cinquante de long. C’est assez encombrant quand vous l’avez en bandoulière.

    Ma quatrième section est commandée par un adjudant- chef d’une bonne quarantaine d’année. Il y a également un maréchal des logis et deux ou trois brigadiers- chefs. Cette section est à peu près au complet quand je débarque à Kherba. Il y a pas mal d’anciens : des gars qui ont déjà quelques mois de commando.

     

     

     


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  • LE CANTONNEMENT

    Notre cantonnement, à Kherba, se trouve dans de vieux bâtiments mi-corps de ferme mi-hangars dans le village même. Notre installation est plutôt rudimentaire. Le sol est en terre battue. Nous dormons dans des lits à étage qui sont équipés d’un drap « sac à viande » et d’une couverture. Le « sac à viande » est le drap du dessus et le drap du dessous cousus ensembles sur les côtés et au fond. Nous sommes un peu serrés dedans, aussi, en été, nous dormons sur le dessus à cause de la chaleur. En guise d’armoire c’est la débrouille car il n’y a rien. Nous n’avons même pas un placard. Nous récupérons de vieilles caisses à grenades en bois qui nous servent de coffrets à bijoux. Elles nous permettent de ranger le peu d’objets personnels, de courrier et d’argent que nous avons et sont en général cadenassées.

     

    Encore une parenthèse pour vous dire qu’en deux ans je n’ai jamais entendu parler de quelque vol que ce soit. Quant à nos vêtements, ils sont entassés dans nos deux paquetages rangés sous nos lits. L’hiver notre blouson reste sur un portemanteau à la tête de notre lit. Nous n’avons pas de fer à repasser. Pour le pantalon la technique du repassage consiste à le plier correctement sous le matelas du lit pendant quelques jours.

    Je l’ai souvent pratiqué.

    Tout le monde est dans le même merdier, tout le monde est solidaire. Pourtant il n’y avait pas que des enfants de cœur dans cette unité. Certains avaient déjà goûté à la prison dans le civil et, selon les rumeurs, y retournaient après leur service : de vrais « gueules d’amour ». Il faut voir comment ils sont fringués. Ce n’est pas toujours réglementaire mais ils s’en foutent. Ils ont parfois une dague à la ceinture à la place du couteau commando. Je crois que la dague était à la mode. Ils l’ont achetée à Affreville ou Orléansville. Ces gars là constituent les meilleurs éléments de l’unité. Comme ils n’ont peur de rien, on peut toujours compter sur eux. Ils ne vous laissent jamais tomber. Malgré le manque de discipline le commando est très efficace sur le terrain.

    Il n’est donc pas nécessaire d’être toujours au garde à vous et d’avoir, comme on dit, le petit doigt sur la couture du pantalon.

     

    N’en déplaise à certains gradés, c’est la qualité physique et morale de chaque soldat qui fait la valeur d’une unité de combat. La guerre ce n’est pas de l’entraînement. Je peux vous assurer qu’il n’y avait pas de fils à papa mais, en grande majorité, des ouvriers, des artisans, des commerçants et des paysans.

    Un petit mot sur les sanitaires et autres douceurs du camp.

    Evidemment nous nous lavons exclusivement à l’eau froide. L’eau chaude est un luxe que nos moyens ne nous permettent pas. Nous ne sommes pas dans un hôtel cinq étoiles. En guise de lavabos nous avons des bacs en tôle équipés d’un tuyau et de quelques robinets pas toujours en très grande forme. L’écoulement se fait à même le sol dans une rigole sur quelques mètres : après ça se débrouille.

    Pour la douche, collective bien sûr, l’équipement est identique : tuyau et pommeau, non réglable, en hauteur. Comme les tuyaux de douche ont un parcours aérien, il faut faire très attention en été.

    Les premiers qui s’en servent ont de l’eau chaude gratuite. La première fois on est ébouillanté comme des écrevisses. C’est normal avec plus de soixante degrés au soleil en été.

    Il faut que je vous parle des WC. Ah ! Les WC, tout un poème, le luxe suprême. Imaginez une fosse creusée à même le sol dans un coin du camp.

     

     

    Elle mesure environ trois mètres de long sur deux mètres de large pour un mètre de profondeur. Elle est équipée de deux ou trois poutres en bois dans le sens de la longueur. Elle est entourée d’une palissade d’un mètre de haut avec une porte d’entrée sans porte. C’est vraiment le WC collectif. Je vous donne le mode d’emploi : ça peut toujours servir.

    Blague mise à part, je ne vous le souhaite pas.

    Vous vous installez en travers les deux pieds sur une poutre. Vous baissez le pantalon et vous faites ce que vous avez à faire. En hiver il ne faut pas trop traîner car le service trois pièces est à l’air. Si vous n’êtes pas tout seul vous discutez avec votre voisin. Avant tout vous essayez de garder l’équilibre pour ne pas tomber dans le trou. C’est arrivé et le résultat n’est pas reluisant. Imaginez aussi l’air pur que l’on y respire en été quand il fait plus de quarante degrés à l’ombre et qu’il faut également se battre avec les mouches.

    Quand la fosse est pleine, on la rebouche et on en installe une autre plus loin.

    En parlant de sanitaires, je me souviens avoir attrapé une bonne dysenterie un été qui a duré quelques jours. J’ai de la chance car, là aussi, je suis un des rares soldats à l’avoir eu qu’une seule fois. 

    Il faut également que je vous parle de la cantine. J’ai eu l’occasion de visiter les cuisines. Ce n’est pas le top du top non plus.

     

     

     

     

    Les plats sont mijotés sur des cuisinières de campagne à feu de bois datant de la guerre de 14-18.

    Le café, enfermé dans des sacs en jute, est mis à tremper dans une marmite d’eau pendant toute la nuit. Il est réchauffé le lendemain matin pour notre petit déjeuner. Cela ne vaut pas l’expresso italien mais, après trois ou quatre jours d’opération, nous le trouvons très bon. La viande de bœuf, quand il y en a, est du surgelé mis à décongeler pendant plusieurs jours.

    Le plus gros travail des cuistots est d’enlever, au couteau, petits morceaux par petits morceaux, le papier de protection collé à cette « barbaque ». Nous arrivons quand même à la manger malgré qu’elle soit toujours bien cuite. Tout compte fait il vaut peut-être mieux qu’elle soit trop cuite. Notre plat préféré est le steak frites comme les mômes.

    Nous avons souvent des fayots. Dans ces cas là nous avons le droit, le soir, à des récitals en tout genre. Il y a même des concours.

    Nous n’avons pas de réfectoire pour l’instant. Les repas se prennent dans nos hangars-dortoirs respectifs.

    Deux ou trois copains vont s’approvisionner aux cuisines pour toute la section. Nous mangeons sur des tables en bois assis sur des bancs. En général il y a de l’ambiance, sauf quand la bouffe n’est pas bonne. Tous ces repas sont accompagnés d’un vin rouge en vrac dans des bidons.

     

     

    Je ne saurai définir ce picrate, ni sa provenance, ni son cépage et encore moins son année. Je me demande s’il y a du raisin là dedans.

    Le repas du soir est du même acabit.

    Pour améliorer l’ordinaire nous nous rabattons sur les colis expédiés par notre famille de métropole. Là aussi l’amitié est présente. En règle générale nous partageons ces colis avec les copains. Certains n’en reçoivent jamais. Les sous-officiers et les officiers, à partir du grade de brigadier-chef, mangent au mess. 

    L’après-midi, après ces repas de « fiesta », nous nous attelons aux corvées du camp. L’armée y pourvoit. Il n’est pas question d’errer dans le camp, désoeuvrés.

    Il faut nous occuper sainement l’esprit.

    Les corvées consistent à nettoyer la piaule et le camp, à renforcer nos barbelés de défense et nos postes de garde, à faire les « pluches » aux cuisines. Comme tout troufion qui se respecte, pour toutes ces corvées, il n’y a pas « le feu au lac ». Nous prenons tout notre temps pour exécuter ces basses besognes. A la fin des corvées, un petit tour au bar du camp n’est pas de refus. Il n’y a pas d’alcool fort genre pastis ou autre (quoique…) mais de la bière, du jus d’orange, de la limonade. Comme la bière n’est pas toujours très fraîche, malgré le frigo, nous la buvons additionnée d’un peu de grenadine : ça s’appelait un « tango ».

     

     

    La petite bouteille d’orangina, vous savez celle qu’on doit secouer avant de la boire, s’appelait une « couille » mesdames.

    Je pense, d’ailleurs, qu’elle était moins gazeuse à l’époque et, surtout, plus naturelle. Quoique non servi au bar, des petits malins arrivent toujours avec un reste de picrate de midi.

    Il n’y a qu’un serveur au bar. Lui aussi a la planque.

    Je me souviens qu’il était dans notre section à son arrivée. Je l’ai eu comme porteur de musette quand j’avais le FM. J’ai une photo où on le voit derrière moi en opé. Il n’est pas resté longtemps dans la section : des problèmes de santé sans doute.

    Le bar est constitué d’une salle intérieure avec un comptoir et d’une sorte d’avancée à l’extérieur avec un toit et ouverte sur les côtés.

    C’est l’extérieur qui est le plus fréquenté, surtout en été. Je crois qu’il y avait quelques tables et quelques chaises.

     

    Nous avons droit aussi à notre ration de paquets de cigarettes de troupe. Comme le nombre de paquets est limité, je m’arrange pour racheter la ration de non fumeurs.

    J’en trouve aussi au bar mais ce sont des  cigarettes Bastos plus chères. Les Bastos sont fabriquées en Algérie.

     

     

    Après le dîner c’est la veillée.

    Certains écoutent une radio sur leur petit transistor. D’autres font leur courrier à leurs parents, leur femme, leurs copains et copines. D’autres encore bouquinent toutes sortes de littérature , la bonne et la moins bonne, des bouquins de cul. Qu’importe, il faut occuper l’esprit pour tenir le coup. Quelques-uns jouent aux cartes. Il y a beaucoup d’amateur de tarot et de poker, souvent pour de l’argent. J’ai appris à jouer au tarot et au bridge là-bas. Je n’ai jamais eu l’occasion d’en rejouer depuis. De temps en temps on se tape une belote ou une coinchée.

    Une autre particularité d’une unité combattante comme la nôtre : il n’y a pas de « mitard », de prison comme en métropole. Pourquoi ? Tout simplement car partir en opération est beaucoup plus dur que de rester enfermé au camp.

    Quelle punition plus importante voulez-vous donner ? Il n’y en a pas. Donc un « mitard » est superflu.

     

    Maintenant que le tour de la propriété est fait, revenons à nos moutons et parlons un peu de nos opérations sur le terrain.

     

    LES OPERATIONS

     

     

    Je me rappellerais toujours de ma première opération car elle est le symbole de l’imbécillité de certains militaires.

    Notre chef d’unité, à l’époque, était un capitaine. Autant que je me souvienne cette première sortie était de courte durée : vingt quatre heures je crois. Rassemblement dans la cour avec sac à dos et armement pour une revue d’effectifs. Petit pitch du commandant. « Pour les nouveaux, bien venue au camp. Pour certains en particulier : je n’aime pas les sursitaires. Messieurs les sursitaires, je me charge de vous en faire baver ». Cela commence bien : bonjour le moral. Monsieur « mon capitaine » oublie un détail important. Nous, nous sommes obligés de venir : lui pas, il est volontaire.

     

    J’ai une mise au point à faire à ce sujet.

    Les premiers éléments, à la création du commando, étaient volontaires.

    Par la suite, devant le manque de candidature, l’armée a pratiqué, ce qu’on appelle le volontariat d’office. Ce fut mon cas. Je fais cette mise au point car, là aussi, beaucoup de monde, y compris les médias, croit que nous étions tous volontaires. Je n’ai jamais demandé à faire partie d’un commando, on m’y a contraint.

    Cette présentation sympathique étant faite, revenons à nos moutons.

    Nous partons à pieds et en colonne en direction du djebel El Anay situé derrière le village. Pas besoin de camion pour cette destination toute proche. Pour ce premier « crapahutage » en montagne et dans  l’ignorance des besoins, je me suis équipé comme les anciens.          

    Côté vestimentaire je mets ma tenue commando : veste et casquette camouflées et petit pull kaki sous la veste. Les poches de côté de mon treillis sont gonflées à bloc. Le treillis est le pantalon militaire.

    J’y mets des babioles comme mon chèche, mes gants et quelques morceaux de sucre pour redonner du tonus en cas de défaillance.

    Le chèche est une longue écharpe africaine utile à beaucoup de chose. Il sert surtout à faire des turbans. Je l’ai utilisé, entre autre, pour me couvrir le nez, la bouche et les oreilles  en plein siroco.

    Par précaution je mets ma veste fourrée dans mon sac avec un bidon d’eau, des chaussettes de rechange et mes rations. J’ai également mon quart. Il a la forme du bidon et s’adapte au cul de celui-ci.

    Ah ! Le quart du troufion, c’est également tout un poème.

    Le quart est la tasse réglementaire de l’armée.

    Il est en aluminium comme le bidon et possède deux anneaux pliables en guise de poignée.

    Nous nous en servons aussi bien pour boire un coup de flotte qu’un coup de picrate, de café ou de gnole. Nous ne le lavons qu’à l’eau froide et encore pas toujours. Il devient vite culotté comme une pipe. Il est aussi crasseux à l’intérieur qu’à l’extérieur. Nous l’utilisons sur des feux de bois ou sur le poêle de notre chambrée pour chauffer de l’eau, du vin ou du café. Il devient vite très noir à l’extérieur avec la fumée.

    En un mot, il est franchement « dégueulasse ».

    C’est également à la gueule du quart que l’on reconnaît les anciens.

    Je suis chaussé de mes pataugas toutes neuves.

    Je porte également mes cartouchières et une autre gourde d’eau à la ceinture dans sa housse de protection. J’ai également mon fusil et ma musette de chargeurs FM qui repose en haut du dos sur le sac. L’air de rien ça commence à faire du poids surtout au bout de vingt quatre ou quarante huit heures de marche.

     

    Jugez en par vous mêmes. La musette fait une dizaine de kilo, le fusil aussi.

    Avec le sac à dos nous avons donc dans les trente kilo sur le dos.

     

    Nous sommes en novembre. Les grosses chaleurs sont terminées et il ne pleut pas : l’idéal quoi. Je ne vous en dirai pas plus sur cette première sortie car, je l’avoue, je m’en souviens très peu.

    Par contre je peux vous raconter le déroulement habituel de nos marches en montagne avec nos nuits à la belle étoile.

    Nous progressons en file indienne sur toutes sortes de chemins : routes en terre ou sentiers muletiers. Parfois il n’y a ni l’un ni l’autre. Nous crapahutons alors sur des pentes raides semées d’arbustes et d’arbres rabougris. On monte, on descend. Le sol est souvent jonché de rochers et de cailloux qui roulent sous nos pieds. Nous traversons des ravins et longeons des oueds souvent secs.

    Avec plus de trente kilo sur le dos ça devient vite très pénible.

    Tout cela se fait dans le silence et toujours avec la crainte de faire de mauvaises rencontres. Après plusieurs heures à ce régime les jambes commencent à avoir du mal à suivre. En hiver nous sommes imbibés de pluie. En été il fait plus de soixante degrés au soleil et là c’est la transpiration qui nous colle à la peau.

     

    A ce régime le dos et les reins en prennent un sacré coup. Actuellement je suis sujet aux maux de dos et lombagos. Je pense que ces pérégrinations, chargé  comme une mule, en sont pour quelque chose. 

    L’ordre de marche n’est pas toujours le même. Le capitaine donne ses directives au départ.

    Cent bonhommes espacés les uns des autres d’une dizaine de mètres font une longue colonne. Quand le terrain s’y prête les sections prennent des itinéraires différents. Cette technique, en plus de la discrétion, permet un ratissage plus large du secteur.

    Au bout de quelques heures on commence à traîner les pieds et à tirer la langue. De temps en temps nous avons droit à une pause de cinq minutes.

    Pendant ces arrêts nous gardons notre bardât sur nous pour pouvoir repartir très vite. Là aussi j’ai appris des anciens. Pour soulager le dos et les reins tout le monde a la même solution.

    Il faut s’asseoir, accoté à un talus ou à flan de montagne  et, si possible, avec une motte de terre ou un caillou sous le sac à dos. C’est très efficace : les épaules sont allégées. Cette technique permet également de se lever très vite et de se mettre à l’abri en cas de besoin. Il faut toujours être vigilent pour sa sécurité.

     

    Elles paraissent toujours trop courtes ces pauses. Le temps de boire un coup de flotte et on repart.

    En été nous ne buvons que deux ou trois gorgées car il faut économiser notre eau.

    Nous nous arrêtons plus longtemps à l’heure du déjeuner pour manger nos rations. Au cours de nos repas champêtres il est bien sûr exclu d’allumer un feu. Vous comprenez bien pourquoi.

    Nous mangeons donc  toujours froid, été comme hiver. 

     

    Le soir nous nous installons du mieux possible pour dormir à la belle étoile.

     

    En tête de colonne il y a toujours trois ou quatre éclaireurs. Ils marchent trente ou quarante mètres devant, au-dessus ou en contrebas des chemins quand c’est possible. Leur mission consiste à nous guider sur la bonne piste et, surtout, à détecter les pièges éventuels : mines, grenades piégées et autres divertissements…

    En général nous observons un silence radio pendant ces marches. Pourquoi ? C’est très simple. Nos copains d’en face sont équipés de postes transistors qui leur permettent d’entendre un émetteur radio à une distance raisonnable. J’ai testé le système : c’est très efficace. La progression en file indienne nécessite d’observer certaines règles.

     

    Dans la journée on garde une distance de huit à dix mètres, parfois plus, avec celui qui  précède pour éviter l’hécatombe en cas d’embuscade. La nuit c’est une autre paire de manche.

    Tout dépend de la clarté du ciel.

    Par nuit très noire une distance de moins de deux mètres est fréquente. Il ne faut surtout pas perdre de vue celui de devant. Il n’est pas rare que la colonne s’arrête pour recoller les morceaux.

    Pourquoi ces marches de nuit ?

    Tout simplement pour passer inaperçu et être en position à l’endroit voulu avant le lever du jour. Croyez-moi c’est payant. Beaucoup de fellaghas en ont fait les frais.

    Parfois nous passons à proximité d’un village. Là, nous sommes vite repérés. Il y a toujours beaucoup de chiens dehors qui se chargent de prévenir leurs maîtres de notre présence. Personne ne sort de sa mechta pour nous regarder passer. Parfois une petite lumière filtre sous la porte. Nous ne traversons que très rarement des villages puisque nous opérons la plupart du temps en altitude et donc en zone interdite. Ces zones sont des régions non autorisées aux civils. Pratiquement toutes les régions montagneuses sont en zone interdite.

    Elles ont été évacuées à une certaine époque afin de pouvoir les contrôler plus facilement.

     

    Les villages qui s’y trouvent sont en ruines aussi, dans ces coins perdus, nous tirons sur tout ce qui bouge. 

     

    Avis aux amateurs.

     

    Les marches de nuit sont également propices à toutes sortes de pièges. Les pièges ! on connaît aussi. Au cours de l’une de ces marches les éclaireurs sont tombés sur un guetteur : on appelle ça un « chouf ». Sa mission consiste à surveiller tout un secteur et à rendre compte. Ils sont tellement bien camouflés que, la plupart du temps, nous ne les voyons pas. Je pense que celui-là manquait d’expérience. En général ils ne sont pas armés. Celui-ci a été  abattu . Nous l’avons piégé avec deux ou trois grenades quadrillées si bien qu’au moindre mouvement du corps, tout saute. Nous ne restons pas là pour voir le résultat.

     

    Rien n’est trop dur pour un commando : ni le froid, ni la pluie, ni la chaleur, ni la neige, ni les difficultés du terrain, ni les kilomètres. Non, non, ce n’est pas une erreur. J’ai eu de la neige en janvier février dans les montagnes d’Algérie. Tout le monde en bave. Les moins résistants ne sont pas ceux qu’on croit. Les gros balaises ne tiennent pas le coup. Certains sont déplacés dans une autre unité au bout d’une semaine ou deux.

     

     

    Le fait d’avoir pratiqué beaucoup de sport, avant ma venue en Algérie, m’a rendu un sacré service.

    A l’inverse, j’aurai peut-être été planqué dans un bureau.

     

    N’ayons pas de regret : la vie est comme elle est.

     

    Il y a également ceux qui sont dangereux pour leurs copains car ils ont trop la trouille. Ceux-là aussi sont renvoyés. Vous allez me dire : ils font peut-être semblant. Non je ne crois pas, à moins d’être un super acteur. Ce n’est pas le cas. Je pense qu’il est impossible de tricher avec des visages aussi expressifs, des visages de peur. J’ai eu l’occasion d’en côtoyer un dans notre section. Il n’arrêtait pas de rouspéter. Il avait toujours son fusil à l’épaule et faisait tout n’importe comment.

    Comme il devenait dangereux et était un fardeau pour nous, il a été viré du commando et expédié dans une autre batterie sur un piton.

    Certains militaires de haut rang ont compris que la meilleure façon de contrer les fel sur leur terrain est de pratiquer la guérilla comme eux. La plupart du temps ceux-ci ne sont jamais bien nombreux, au maximum  quelques dizaines d’individus. Ils ne sont pas toujours bien armés. Beaucoup n’ont que de vieux fusils de chasse. Leur force est dans leur équipement très léger et surtout dans leur rapidité de déplacement n’importe où, n’importe quand.

     

     

     

    Les seuls Français à pouvoir rivaliser avec eux sont la légion et quelques unités de paras.

    C’est trop peu et c’est en grande partie pour cette raison que les commandos de chasse ont été créés.

     

    D’ailleurs on retrouve souvent les mêmes pour les coups durs sur le terrain :

    -         les bérets verts de la légion

    -         les bérets rouges des paras

    -         les bérets noirs des commandos

                                                                                         Au cours de mon séjour dans cette unité j’ai également entendu parler des commandos Viet. Je ne les ai pas rencontrés personnellement.

    Ce sont des unités d’engagés vietnamiens que l’armée a ramené d’Indochine et qui se sont normalement retrouvés en Algérie. Ils étaient présents dans tous les gros coups, aux avant-postes. Il paraît qu’ils ont eu de grosses pertes au début de la guerre.

     

    Je n’aime pas les para car ils sont souvent crâneurs.

     

    Par contre nous nous sommes toujours bien entendus avec les légionnaires. Ils nous respectent sur le terrain. Il m’est même arrivé de boire l’apéro avec eux à Alger.

     

    Là aussi il faut remettre les pendules à l’heure.

     

     

    Quoiqu’en disent certains, la légion a été et est toujours, pour moi, bien plus efficace sur le terrain que les paras. C’est assez logique car les légionnaires, à l’époque, étaient des soldats de métier.

     

    Et si nous revenions à nos moutons.

    Comment s’organisaient nos nuits à la belle étoile, souvent à plus de mille mètres d’altitude ? La tactique la plus utilisée est de s’installer au-dessus d’un sentier, d’un chemin, à flan de coteau d’un piton.

    Chaque équipe se voit attribuer un secteur avec une direction bien précise de surveillance. Bien entendu nous nous servons de la topographie du terrain pour nous camoufler au maximum. Ce n’est pas toujours facile quand il n’y a pas un arbre.  Les équipes sont à faible distance l’une de l’autre et dos à dos pour éviter les mauvaises surprises par derrière.

    Chacun s’installe pour manger avant la nuit.

    Au menu : boites de conserves, pain, orangeade et eau, sans oublier le petit coup de gnole et la dernière cigarette. Comme je vous l’ai dit, nous mangeons toujours froid, même l’hiver. Nous n’avons pas d’ouvre-boîtes aussi nous nous servons carrément de nos couteaux respectifs pour ouvrir nos conserves. Nous mangeons avec ces couteaux ou avec nos doigts.

    Nous sommes écologistes avant l’heure car nous ne laissons rien traîner.

     

     

    Ce n’est pas par respect de la nature mais pour effacer toutes traces de notre passage. Après ce succulent repas, installation pour la nuit et établissement des tours de garde de l’équipe.

    Chacun fait une heure à une heure et demie de surveillance. Nous postons un garde par équipe.

     

    Cette organisation permet aux autres de dormir un peu pour récupérer des fatigues de la veille. C’est la dernière heure de garde que je préfère. Voir le jour se lever sur les montagnes, c’est magnifique. C’est souvent la même montre qui circule pour éviter les contestations. Une heure et demie de garde c’est long la nuit, surtout en pleine nature. On entend les chacals japper. Parfois ils sont très près de nous. Les chacals et les sangliers ont souvent été pris à partie pendant la nuit. Je ne crains pas de le dire : j’ai souvent eu la trouille. Ceux qui disent le contraire sont soit des malades, soit des menteurs.

    Pourtant, on risque moins un mauvais coup la nuit que de tomber dans une embuscade de jour. Je garde le souvenir des tensions suscitées par ces gardes de nuit en pleine nature. Tous les sens sont en éveil et, plus particulièrement, l’ouïe qui se développe comme la vue. Le moindre bruit nous met en alerte. Il y en a beaucoup, surtout en moyenne montagne.

    Pour passer le temps pendant ma garde, je fume une cigarette sous ma veste ou ma djellaba.

     

     

     

    Si le temps est clair j’observe la voûte étoilée. Que c’est beau quand il n’y a pas de pollution.   

    A ce sujet, j’ai une anecdote qui aurait pu nous coûter très chère. J’étais chef d’équipe à l’époque. Au cours d’une nuit sur le terrain, un harki s’est endormi pendant son tour de garde.

    Personne pour veiller pendant au moins cinq heures.

    Tout le monde s’est réveillé comme un seul homme au petit matin. Je ne vous parle pas de l’engueulade qui a suivi. Le pire aurait pu nous arriver.  Cela ne s’est jamais reproduit.

    Encore une autre anecdote à vous raconter. Le terrain est souvent truffé de cailloux et d’arbres. Une précision au sujet des forêts. Il y a très peu de grands arbres. La végétation est composée principalement de chênes- lièges et de chênes verts. Il m’est donc arrivé de dormir dans ces arbres. Je me revois encore chercher la bonne fourche de grosses branches : une branche pour se caler le dos et une autre de chaque côté pour ne pas basculer. Je laisse mon sac à dos au sol mais je garde mon arme.

    Beaucoup de gens ne me croient  pas quand j’évoque ce souvenir et pourtant c’est la vérité.

    Il faut dire, qu’à l’époque, j’étais capable de dormir n’importe où. Heureusement car il faut récupérer de la fatigue du jour et être en forme le lendemain pour crapahuter encore et encore. On a l’impression que ça ne va jamais s’arrêter.

    Des anecdotes comme celle là je vous en raconterai souvent, plus incroyables les unes que les autres.

    Le réveil au petit jour est parfois pénible.

    Les courbatures des efforts de la veille sont là.

    En général le petit « dej » froid est vite pris et refaire son sac tout autant.

    Il n’est, bien sûr, pas question de se toiletter. Par souci d’économie, nous nous rafraîchissons les yeux, la bouche et la gorge av


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  • LE STAGE COMMANDO

    Comme d’habitude, la nouvelle nous tombe dessus sans prévenir.

     

    Notre hiérarchie nous invite à revoir notre paquetage car dans deux jours nous partons dans l’Ouarsenis faire un stage commando.

     

    Merde, il ne manquait plus que ça.

     

    Certains anciens l’ont déjà fait il y a un an et nous garantissent du sport. Si je me souviens bien, le stage durait quinze jours. L’Ouarsenis est une montagne qui se situe au sud d’Orléansville et son sommet culmine à environ deux mille mètres. Le camp le plus proche est celui de Lamartine.

     

    Ce nom me dit quelque chose . Après réflexion, je me souviens que c’était également une destination possible à la fin de mes classes à Melun. Il doit y avoir quelques anciens de ma section à Lamartine.

    Nous n’y sommes pas allés pendant le stage.

    Pour faire bonne figure nous touchons quelques habits neufs : pantalons, veste et casquette camouflées, pataugas.

    Les armes sont vérifiées et astiquées.

    Le jour J des camions viennent nous chercher et nous filons vers l’Ouarsenis. Après Orléansville la route D132 sinueuse et truffée de nids de poule traverse des gorges peu engageantes. A propos de nids de poule, vu l’importance, j’appelle ça des nids d’éléphant.

    Le camp est situé en bordure du lac de retenue d’eau du barrage Steeg sur l’oued Fodda. Il domine le lac et est constitué de quelques grandes tentes qui vont nous servir de dortoir et de réfectoire pendant quelques temps. Nous nous contenterons de lits de camp pour dormir. Il y a un poêle qui trône au milieu de la chambrée pour nous apporter un peu de chaleur.

    Nous sommes au mois de janvier et il ne fait pas chaud à cette altitude, même en Algérie.

    Au-dessus du barrage, sur le rocher, il y a un petit village de quelques grandes maisons qui abritent les employés du barrage. Une route sur le barrage permet l’accès de l’autre côté.

     

     

     

     

     

     

     

     

    Par contre, en face, il n’y a pas de route mais un sentier que nous empruntons souvent.

     

    Les festivités commencent dès le lendemain.

    Nous avons un instructeur dans chaque discipline. Je vous garantis que nous ne nous sommes pas amusés.

    Je me dois de vous en raconter quelques bribes pour que vous ayez une idée de notre villégiature dans ce camp.

     

    D’abord le fameux parcours du combattant.

    Il domine le lac et est installé dans une montée.

    Nous devons  passer par une petite fenêtre taillée dans une espèce de cloison en bois. Il faut mettre son arme canon en avant sinon ça ne passe pas. Certains copains restent coincés. De l’autre côté il y a un comité d’accueil. Quelqu’un de bien intentionné nous balance une vrai grenade offensive dans les jambes. La technique consiste à faire quelques mètres et à s’allonger à plat ventre avant l’explosion.

    Bien sur il y a toujours des petits malins.

    Je me souviens d’un grand gars qui est resté debout au moment de l’explosion. Il a pris l’allumeur et la cuillère de la grenade dans les jambes. Il s’est retrouvé avec un beau trou dans un mollet. Ce n’est pas méchant mais le stage est fini pour lui.

    Il faut aussi passer à plat ventre sous des barbelés. Vous allez me dire : ce n’est pas si terrible que ça.

     

     

    Erreur, grossière erreur, car pendant notre passage, un instructeur nous tire dessus, juste au-dessus de la tête, avec un fusil mitrailleur. Ce ne sont pas des balles à blanc mais de vraies balles. Je me souviens de les entendre ricocher sur les piquets des barbelés. C’est pour ça que ces piquets sont en ferraille. En tournant la tête sur la gauche je les voies atterrir en bordure du lac dans la flotte. Ce n’est pas le moment de lever son cul sinon on hérite, gratuitement, d’un deuxième trou dans le derrière. Ensuite quelques plots en bois pas plus grands qu’une chaussure agrémente notre parcours. Rien de mieux pour se tordre une cheville quand on rate le plot.

    Un peu plus loin  nous avons droit à une autre petite douceur.

    Nous devons passer debout sur une poutre ronde en bois de quatre à cinq mètres de long installée au-dessus d’un oued asséché. La poutre est de la taille d’un poteau téléphonique.

    Rebelotte, pendant notre passage, nous avons encore droit à un tir de FM juste en dessous de la poutre. Il vaut mieux ne pas tomber sinon la rafale est pour nous. Un peu plus loin nous devons franchir un mur de plus de deux mètres de haut. La difficulté n’est pas insurmontable avec une bonne technique. Elle consiste à prendre appui avec un pied sur l’ouvrage avant de sauter.

     

     

    Cette technique permet de transmettre l’énergie de votre course à votre saut. Vous vous retrouvez en haut du mur sans pratiquement aucun effort. Quelques uns calent sur ce mur. Ils doivent recommencer une, deux, trois fois. Ils finissent par apprendre. Les instructeurs sont là pour les aider. Après ce mur, il faut franchir un fossé .  Ce parcours est truffé de petites douceurs de ce genre. Sans oublier que nous devons le faire en un minimum de temps sinon nous recommençons.

    Nous passons également pas mal de temps à nous entraîner au tir avec différentes armes. Il n’y a pas de cibles comme dans un stand. Nous tirons sur des cailloux, des arbres, des vieilles cabanes. J’ai beaucoup tiré au FM dans toutes les positions possibles et inimaginables. Avec le FM le tireur est en position allongée. Il a à côté de lui un pourvoyeur qui, lui aussi, est allongé. C’est le pourvoyeur qui approvisionne le FM en chargeurs.

    Le chargeur se trouve sur le dessus du FM. Cette technique permet au tireur de ne pas quitter la cible des yeux. Le pourvoyeur est également là pour diriger le tir. J’ai également tiré debout, le FM à la hanche, la main gauche sur la béquille et la droite qui tient la crosse avec un doigt sur la gâchette. Cela m’a rendu service par la suite quand j’ai récupéré le FM après le départ de G...

     

     

    Avec la topographie du terrain que nous fréquentons en opérations, il est très rare de tirer dans la position idéale des manuels d’instruction.

    Quand on tire très longtemps avec le FM il devient bouillant et on ne peut plus le toucher. J’ai également appris à pisser dessus pour le refroidir. Et oui, excusez-moi mesdames mais ça marche. Les mains ne sentent pas la rose après.                        

    Pendant que certains tirent au FM, d’autres s’entraînent au tir de grenades à fusil ou, plus familièrement, de « patates ». Eux aussi finissent par devenir de bons tireurs, malgré la difficulté à estimer la distance de l’objectif et donc l’inclinaison du fusil.

    J’ai encore une autre petite anecdote du même acabit, si l’on peut dire, à vous raconter. Nous nous sommes également entraînés au lancer de grenades à mains, des vraies pas des fausses. Nous devons lancer une grenade défensive dans un trou à une vingtaine de mètres.

    La grenade défensive est la plus grosse des grenades à mains. Là aussi rien de bien terrible me direz-vous. Attendez, attendez, il ne s’agit pas de la lancer bêtement dans le trou.

    Non, il faut, quand elle est dégoupillée et cuillère ouverte, la garder pendant quelques secondes dans la main, avant de la lancer. Il vaut mieux savoir compter.

    Je n’ose pas penser à l’engin mal calibré et qui saute plus tôt que prévu : il n’y a plus de bonhomme.

     

     

    Comble de bonheur, quelques jours après notre arrivée, nous nous sommes réveillés un matin sous la neige. Là ça commence à bien faire : nous aurons tout eu.

    Une mince couche de neige recouvre tout sauf le lac bien sur. Ceci dit le paysage est magnifique avec le pic de l’Ouarsenis en toile de fond mais nous n’avons ni le cœur, ni  le temps de l’admirer. 

    L’entraînement continue de plus belle. Neige ou pas, notre stage commando devient de plus en plus éprouvant. Quelques gars lâchent et sont rapatriés à Rouina. Nous avons le droit d’excursionner dans le djebel pour apprendre à nous déplacer du mieux possible. Le paysage est bizarre, pas franchement désertique mais il rend mal à l’aise. Le secteur a été ratissé des dizaines de fois. Je me suis longtemps demandé pourquoi cette sensation. J’ai fini par en connaître la cause. C’est le grand silence : on n’entend pas un seul oiseau, pas un seul chacal. Au cours d’un retour d’opération nous essuyons les tirs d’une autre unité au-dessus de nos têtes. Pas de panique nous dit notre instructeur.

    « Quand vous entendez les balles siffler et bourdonner, il n’y a rien à craindre, elles passent à quelques mètres ». Il en a de bonne lui. A l’inverse, ça veut dire que si tu ne les entends pas elles sont pour toi.

    Je ne vous ai pas parlé d’une autre activité de loisirs du camp : le close-combat.

     

    Nous avons droit à une heure de cet exercice tous les matins sur de la terre truffée de cailloux. Nous apprenons, entre autre, à tuer un adversaire à mains nues et au couteau.

    Je me souviens parfaitement de certaines prises.

    Par exemple celle qui consiste à rompre les vertèbres cervicales d’une sentinelle avant qu’elle n’est le temps de crier. Le coup de pieds dans le bas du ventre fait également partie de l’apprentissage. Vous savez, mesdames, la partie la plus sensible chez l’homme : oh ! Que ça fait mal. Nous apprenons aussi à désarmer un ennemi qui vous menace d’un couteau.

    J’apprends également à connaître les points sensibles du corps, à les localiser et à frapper.

    Cette technique de combat rapproché doit toujours exister mais peut-être sous un autre nom.

    Un stage supplémentaire est prodigué aux candidats éclaireurs. Il faut être  volontaire. Mon copain T… en fait partie. Ils apprennent le déplacement de nuit. Pour l’exercice final ils sont largués dans la nature à quelques kilomètres en pleine nuit et doivent retrouver le camp par leurs propres moyens. Ils réussissent tous    cet examen.

    J’oublie certainement d’autres  réjouissances.

    En fin de journée nous glandons car nous ne pouvons même pas boire un coup. N’importe comment, comme nous sommes crevés, nous nous couchons assez tôt.

     

    Voilà, je vous ai donné un petit aperçu d’un stage commando pendant la guerre d’Algérie.

    Tout a une fin, même les bonnes choses. Nous revenons dans notre camp à Rouina. Maintenant que nous sommes bien aguerris, je me demande ce qu’ils vont nous mijoter.

     

    Vous allez voir, la suite n’est pas triste non plus.

     

    OPERATIONS EN HELICOPTERES

     

     

    Les opérations se suivent les unes derrière les autres et pas forcément en camions et à pieds. Nous avons droit à quelques déplacements en hélicoptères Sicorsky. Les camions nous emmènent à l’héliport qui n’est pas très loin. Les engins nous attendent en rang d’oignon sur le terrain. Les rotors tournent déjà et nous embarquons illico avec armes et sac à dos.

    Il y a une rangée de sièges de chaque côté. Nous sommes dos à la carlingue. Je ne me rappelle plus à combien nous montons dans l’appareil : une douzaine. Il faut donc huit à dix hélico pour nous transporter. La porte extérieure reste ouverte en permanence.

    J’ai eu l’occasion de me retrouver assis à côté de cette porte.

     

    Je n’étais pas du tout rassuré. J’ai toujours eu une certaine appréhension du vide. En vol c’est assez impressionnant les premières fois mais c’est comme tout : on s’y fait.

    Il n’y a pas de séparation entre la carlingue et les pilotes. Le poste de pilotage est surélevé par rapport au reste. Ils sont deux aux commandes.

    Le décollage est assez pénible. Quand le moteur est à plein régime, l’hélico vibre de partout. Le bruit est assourdissant. On a l’impression que tout va se déglinguer. Le pilote tremble pour tenir le manche.

    La première fois, pour notre baptême, abstraction faite du bruit intérieur, je suis sûr qu’on entendrait une mouche voler. Tout le monde serre les fesses. Par la suite la routine s’installe et cela devient une habitude comme le reste. Dès que nous décollons ça va nettement mieux pour devenir presque agréable.

    La vue est belle quoiqu’un peu vertigineuse. Attention, ne nous leurrons pas, nous ne sommes pas vraiment en promenade.

    La suite, et donc l’atterrissage, n’est pas mal non plus. En fait d’atterrissage, la plupart du temps on ne peut pas à cause du terrain montagneux : trop de cailloux et de rochers. L’hélico se stabilise à une certaine hauteur du sol et on saute. Bonjour les dégâts. N’oubliez pas que j’ai un certain poids sur le dos : sac et arme personnel plus musette de chargeurs FM.

     

    A chaque fois c’est pareil, je finis mon saut avec les genoux qui portent sur les cailloux. A surveiller pour voir si ça ne s’infecte pas : ça ne l’a jamais fait.

     

    Quand je vous disais que nous étions solides.

     

    LA VIE AU CAMP

     

     

    En février, G…, un autre copain et moi avons le droit à une ballade à Orléansville l’après-midi. Je ne sais plus comment nous avons fait pour obtenir cette perme. Nous visitons la cité et nous nous tapons quelques verres dans les bistrots du coin. Je crois que c’est la dernière fois que je suis sorti avec G... Il a eu la quille et est donc parti peu de temps après. Lui aussi a fait l’Allemagne avant l’Algérie.

    C’est en février que je reçois la médaille commémorative d’AFN, trois mois après mon arrivée. Cela veut dire qu’il n’y a aucune différence, pour l’armée et l’état, entre celui qui fait trois mois en Algérie et celui qui fait deux ans et plus. Cherchez l’erreur !

     

    Remarquez, aucune différence n’a jamais été faite non plus entre les hommes de terrain et les hommes de bureau.

    Je connais des copains qui reconnaissent avoir eu la planque en Algérie.

    Je crois que c’est à cette époque que j’assiste pour la première fois à des crises de paludisme. Je me souviens d’un gars de notre section  qui nous en a fait une un soir de repos au camp. Elle était plutôt carabinée. Nous l’avons tenu à six sur son lit : trois de chaque côté. Son corps est secoué par des tremblements et nous avons beaucoup de mal à le maintenir. Ce n’est vraiment pas beau à voir. Encore un héritage de la guerre d’Algérie. Dans notre unité plus de la moitié des gars a attrapé le palu. Par chance je suis passé au travers.

     

    Le moral est comme le temps : maussade.

    La fiesta continue en mars.

     

    Les opérations se succèdent à un rythme soutenu : deux, trois, quatre jours d’affilés. En hiver ce n’est pas jojo. Il pleut et nous sommes trempés jusqu’aux os : personne n’est malade. La djellaba est imbibée de flotte et devient plus lourde que le reste du barda.

    Je crois que c’est les 4 et 5 mars 1960 que nous avons eu la visite de De Gaulle en Algérie. Je m’en rappelle très bien car il faisait un temps de cochon : de la pluie et encore de la pluie.

     

    Toutes les troupes sont mobilisées pour la protection du Général. Nous avons passé quarante huit heures sur le terrain pour sa protection. Nous avons dormi, à la belle étoile comme d’habitude, dans de la terre glaise recouverte d’eau. Au bout de ces deux jours nous avions de la boue partout : dans nos cheveux, nos oreilles, nos narines.

    Comme on dit : nous n’avions plus un poil de sec. Je ne voyait plus la couleur de mes vêtements et chaussures. Sans le vouloir, le camouflage était parfait. Vous ne savez pas la meilleure. De Gaulle est bien passé mais au-dessus de nos têtes en hélico. Il faut vraiment avoir envie d’emmerder le monde.

     

    G… est parti. Devinez qui récolte le fusil mitrailleur ? Votre serviteur bien sûr.

     

    Je rends mon fusil et la musette de chargeurs. Les jours de repos, je m’entraîne à démonter et remonter le FM. J’ai fini par pouvoir le faire les yeux bandés.

    C’est impératif pour la nuit sur le terrain si nécessaire. Toujours le souci d’avoir une arme en parfait état. Je m’occupe également de mes chargeurs personnels que je porte dans un étui en toile autour de la cuisse gauche. L’étui est constitué de trois poches fermant par des boutons à pression. J’ai donc trois chargeurs en réserve sur le côté. Cet étui est très visible sur une de mes photos.

     

    Après chaque opé j’enlève les balles des chargeurs et, si besoin, je retends les ressorts et je les réapprovisionne sans oublier les balles traçantes.

    En avril la section au repos hérite  d’une nouvelle  corvée . Nous retapons l’intérieur d’un bâtiment inoccupé pour en faire un réfectoire. Le travail consiste, après un nettoyage et lavage complet, à badigeonner les murs à la chaux.

    Désormais nous ne prendrons plus nos repas dans notre dortoir.

     

    Il commence à faire beau et nous sommes la plupart du temps en short, pas forcément de l’armée.

    Nous nous repayons également une consolidation des barbelés.

    Je crois que c’est également à cette époque que nous voyons arriver un adjudant de carrière pour s’occuper de l’ordinaire du camp.

    Il faut que je vous raconte ses débuts au camp : ça vaut son poids de cacahuètes. Figurez-vous qu’il a voulu faire du zèle. Il veut nous foutre au garde à vous, nous ordonner tout un tas de conneries comme en France.

    Il faut le saluer alors que nous ne saluons même pas un général qui se présente à la porte d’entrée du camp.

    Il ne s’est pas foutu de nous bien longtemps.

    Une nuit, les copains de garde ont simulé une attaque en masse du camp.

     

     

    Cela pettait dans tous les sens : rafale de mitraillette, fusée éclairante et même grenades : des vraies pas des fausses.

    Il y a eu un beau bordel.

    L’adjudant est sorti de sa chambre en petite tenue et complètement affolé et ne sachant visiblement pas quoi faire. J’ai cru qu’il allait avoir une attaque. Qu’est ce qu’on a pu rigoler. Le barouf s’est achevé aussi vite qu’il était venu. Comme la nuit porte conseil, le lendemain notre cher adjudant avait compris la leçon. Il ne nous a jamais plus emmerdés.

    Fin de l’histoire.

    J’ai également entendu parler de règlements de compte en opérations. Des gradés se sont faits trouer la peau, pas forcément par ceux d’en face. Notre unité n’a jamais eu ce genre de problèmes.          

    Je suis au commando depuis cinq mois. Les anciens sont partis et nous assurons pleinement la relève.

    Apparemment, personne ne reste plus d’un an dans cette unité. C’est trop dur et l’efficacité sur le terrain s’en ressent.  Ceux qui n’ont pas fini leur service sont mutés au PC ou dans une autre batterie. Ils peuvent attendre la quille tranquillement.

    Je pense que le stage commando a été bénéfique pour ne pas se faire descendre. Les nouveaux sont arrivés.

    Comme d’habitude, la plupart viennent d’Allemagne. Ils n’ont plus que huit à dix mois à faire avant la quille : les veinards. Un paradoxe de taille : souvent les gars arrivent après moi et ont la quille avant moi.

     

    Quand je vois ce qui me reste à faire, j’en suis malade. Il vaut mieux ne pas y penser.

    Pour les nouveaux c’est vraiment une représentation tout azimut aussi bien sociale que géographique. Dans notre section nous avons même un boxeur professionnel qui vient d’arriver. Je crois qu’il combattait dans la catégorie mi-lourd. Il est sacrément baraqué. Devinez à quel poste il a été parachuté ? Porteur d’une musette FM bien sûr.

    Pour l’instant nous ne faisons pas d’opérations trop longues : ça ne durera pas.

     

      

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