• SOUVENIRS DE LA GUERRE D'ALGERIE 4

    OPERATIONS AVEC APPUI AERIEN

     

     

    Nous avons un petit chien qui a débarqué dans notre section : une espèce de ratier à poils ras. Nous ne savons pas d’où il vient. Tout le monde l’a adopté et nous nous débrouillons pour lui trouver à manger aux cuisines.

    Nous l’emmenons en opération avec nous, même la nuit. Il ne dit rien sauf s’il y a quelque chose qui traîne dans le coin. Il grogne entre ses dents. Pour monter la garde on ne fait rien de mieux. Le pire est que nous ne lui avons jamais appris.

    A propos de chiens, nous en avons invité quelques-uns à nous accompagner : des chiens de l’armée avec leur maître chien. La plupart sont des bergers allemands : des chiens pisteurs bien entraînés.

    Le pisteur est un chien qui peut retrouver quelque chose ou quelqu’un grâce à son odorat très développé. Je me demande s’il y en a toujours dans l’armée. 

    Eux non plus ne disent rien la nuit.

    Nous nous payons aussi pas mal de ratissages en plaine dans des zones habitées.

    Il y a beaucoup à dire sur ces ratissages.

    Je pense que c’est là que j’ai appris à connaître la vraie nature humaine. Il n’y a pas que les autres qui font des saloperies : nous aussi. On donnerait le bon dieu sans confession à certains et pourtant !

    Combien de fois j’ai vu un gars sortir d’une mechta en se reculottant et en arborant un large sourire jusqu’aux oreilles en passant près de moi alors que l’on entend des femmes pleurer à l’intérieur de la modeste baraque. Devinez ce qu’il a fait ? Il a violé une gamine ce con et en plus il en est fier. Un jour il choppera une chaude-pisse ou tout autre désagrément et ce sera bien fait pour sa gueule.

    Les musulmans sont très sensibles quant à la virginité de leurs jeunes filles. C’est impératif, surtout à l’époque, pour trouver un mari.

    J’ai entendu dire que certains pères avaient la solution pour éviter la défloraison de leurs filles. Ils installent une ou deux lames de rasoir à l’entrée du vagin de leur progéniture. Ne me demandez pas comment ils font, je n’en sais rien. Bonjour les dégâts sur le violeur.

    Je ne crois pas qu’un gars se soit fait prendre dans notre unité.

    Vous voyez, notre armée n’est pas mieux qu’une autre.

    Je me rappelle de l’un de ces ratissages en petite montagne dans une zone habitée. Comme d’habitude nous avons rassemblé les hommes d’un village pour les interroger. Certains ont fait du zèle.

    Heureusement que la question ne se pose pas pour moi. Etant là en soutien avec le FM je ne participe pas aux interrogatoires.

    Cela étant j’ai pu voir quelques vieux de la vieille arborer leurs décorations françaises épinglées sur leur djellaba. La plupart datent de la guerre de quarante, quelques-unes de quatorze.

    Ils se mettaient au garde à vous devant nous, fiers d’eux. Certains conards ont quand même voulu les molester. Là j’ai vu rouge et je ne me suis pas gêné pour le leur dire à ces cons. Quand je vous disais qu’il y avait des imbéciles partout.

    Une autre fois j’ai pu assister à une scène pas triste et qui vaut également son poids d’harissa (Il faut de temps en temps changer de vocabulaire). Savez-vous comment faire un gros besoin dans la nature sans avoir ni papier, ni feuilles, ni herbes ? J’ai vu un petit vieux s’isoler à une dizaine de mètres, faire ce qu’il avait à faire et s’essuyer le derrière avec quelques cailloux qui traînaient par-là. Ca vous en bouche un coin hein !

     

    Nous sommes au printemps.

    La campagne algérienne est magnifique. Il y a des fleurs partout : bon dieu que c’est beau. J’aurais préféré apprécier ces paysages dans d’autres circonstances. Le premier mai 1960 je suis nommé première classe. C’est une distinction honorifique comme celle de Maréchal de France, pas un grade.

    C’est curieux, les deux seules distinctions se trouvent aux extrémités de la hiérarchie militaire. Cet honneur ne me rapporte rien.

    Nous arrivons aux beaux jours. Il commence à faire chaud et les grandes opérations démarrent. Nous sommes à poil sous notre veste et pieds nus dans nos pataugas. Même l’hiver nous ne portons pas de chaussettes pour marcher.

    Il y a une raison très simple. Quand vous marchez pendant des heures vous transpirez énormément dans vos chaussures. La poussière se colle sur la laine des chaussettes qui deviennent extrêmement dures, à certains endroits, en séchant. Je me suis fait piéger au début et j’ai eu quelques belles ampoules. Marcher avec des ampoules ce n’est pas le pied : c’est le cas de le dire. J’ai quand même une paire de chaussettes dans mon sac. Je ne les mets que la nuit.

    Nous voilà partis pour une grosse opération. Je la sentais venir depuis pas mal de temps. Nous partons avec deux jours de vivre et d’eau seulement.

    C’est encore une autre particularité de notre commando : nous ne faisons pratiquement jamais de prisonnier.

    Nous serons ravitaillés sur le terrain par la suite.

    Oh ! Je n’aime pas ça. Tout se prête pour une longue opé. Nous partons en hélico vers le massif de Dahra qui culmine entre mille et mille cinq cent mètres au nord de l’oued Chelif.

    Ce n’est pas non plus un coin très sympa.

    L’héliportage se passe dans les mêmes conditions.

    Je n’ai plus la musette FM mais le FM lui-même. Il est moins lourd mais plus encombrant. Comme toujours l’hélico ne peut pas se poser. Vu l’encombrement du FM, je prends soin de le mettre en dehors de l’hélico, à bout de bras, avant de sauter. La réception est meilleure qu’avec la musette.

    C’est la béquille du FM qui a amortit ma chute si bien que mes genoux n’ont pas porté au sol. Après inventaire de mes abattis, je constate que la béquille du FM est assez tordue. J’ai le temps de la réparer avec les moyens du bord. Les cailloux du coin me servent de marteau et d’enclume. Ce n’est pas ça qui manque.

    La colonne se forme et nous partons vers le Nord.

    Je peux vous dire que c’est une des opé les plus dure que j’ai fait. Je crois que c’est cette fois là que j’ai dormi dans les arbres.

    Nous sommes à plus de mille mètres d’altitude et les nuits sont magnifiques. Il fait un temps très clair et le ciel est constellé d’étoiles.

     

    Nous distinguons les lumières de quelques villages au loin : c’est beau. La dure réalité du lendemain nous rappelle à l’ordre.

    Dans la matinée nous tombons sur un jeune qui traîne deux bourricots lourdement chargés derrière lui. En Algérie on appelait cela des « brèles ». Je suis sûr que ce jeune n’a pas plus de treize ans. Nous fouillons tout son barda. Il transporte du ravitaillement. La zone étant interdite à des kilomètres à la ronde, c’est forcément destiné aux rebelles. Il a subi un interrogatoire un peu musclé mais il n’a rien lâché. La suite n’est pas à l’honneur de l’armée. Après un entretien avec le commandant, un gars l’a emmené derrière une colline. Tout le monde a compris. Une rafale de mitraillette brise le silence et le bourreau revient tout seul et sans état d’âme.

     

    Devinez qui s’est chargé de la sale besogne ?

    Notre violeur de pucelle.

     

    Vous ne savez pas la meilleure. Il a été nommé brigadier-chef et finira son temps en Algérie avec une médaille à la clé. S’il est toujours vivant, je me demande s’il arrive à bien dormir. Je sais de quelle région il est mais je ne vous le dirai pas pour ne blesser personne.

     

    Qui a dit qu’il n’y avait pas d’atrocité pendant la guerre d’Algérie ? De deux choses l’une : ou ils n’ont jamais combattu là-bas et ils étaient planqués dans un bureau, ou ils se foutent de la gueule du monde et ils feraient mieux de se taire.

    J’aimerai faire également une parenthèse à propos des décorations. Je peux vous dire qu’elles ne sont pas toujours correctement attribuées. En général ces décorations sont données quand il y a récupération d’armes dans une cache ou sur des rebelles abattus. Il ne faut pas s’étonner de voir des militaires de carrière avec de « sacré placard » sur la poitrine.

    Attention certaines médailles sont grandement méritées. J’ai pu voir des « sans grades » arborer la légion d’honneur. Croyez-moi, à titre militaire, elle n’est pas galvaudée.  

    Je me souviens d’un adjudant, militaire de carrière, qui s’est vu octroyer une médaille alors qu’il n’avait même pas participé à l’opération.  Bonjour la honte.

    Remarquez qu’actuellement ce n’est pas mieux, c’est pire. Je préfère ne pas m’étendre sur un sujet qui fache.

    Revenons à nos moutons.

    Il y a déjà deux ou trois jours que nous marchons vers le Nord.

     

    Le FM commence à me peser.

    De temps en temps je le mets à plat sur une épaule puis sur l’autre. Je l’installe la béquille en avant pour mieux le tenir et le reprendre très vite en mains en cas de besoin. Malgré les muscles des épaules, il finit par faire mal, surtout en été quand nous n’avons que la veste sur la peau. Il est évident que dans les coins dangereux, je le garde à sa place habituelle, devant moi, en bandoulière.

    Il y a longtemps qu’il n’y a plus de route.

    Nous nous faisons ravitailler par un hélico. Nous avons réussi à lui trouver une petite plate-forme herbeuse sans caillou : c’est un exploit. Nous déchargeons les rations, de l’eau et du pain frais. Du pain frais ! C’est un régal pour nous qui ne mangeons plus que du pain mou, imbibé d’eau par notre transpiration à travers le sac à dos.

    Nous reprenons notre marche forcée dans la montagne. Il y a cinq jours que nous sommes partis. 

    Pas lavés et pas rasés depuis notre départ, nous sommes recouverts, de la tête aux pieds, d’une couche épaisse de poussière qui commence à former une croûte sur la peau à certains endroits.

     

    Comme vous le voyez la photo en dit long.

    Je suis méconnaissable.

    Nous ne supportons plus la casquette sur la tête si bien que nos cheveux forment des épis droits et durs comme une brosse en chiendent. La chaleur s’en mêle et rend le parcours encore plus désagréable.

    Nos boites de conserves chauffent dans le sac. Quand nous les ouvrons pour casser la croûte, la sauce gicle : un vrai geyser. Il en reste quand même un peu dans le fond mais c’est tout de même sec. Il faut manger pour tenir le coup.

    Pour l’eau, c’est pire. Elle est très chaude et mauvaise. Malgré tout nous nous efforçons d’en boire le plus possible. Nous savons qu’elle constitue également un aliment de base qui nous permet de tenir le coup. Comme mes copains, je sens mes forces diminuées et nous marchons moins vite. C’est normal avec les conserves et les kilomètres.

    Ah ! Que voilà une bonne recette, mesdames, pour garder la ligne !

    Au bout d’une semaine à traîner dans la montagne, nous avons une drôle de surprise au détour d’un chemin. Face à nous, la grande bleue s’étale devant nous.

    Nous avons traversé toute la montagne pour arriver à la Méditerranée. Nous avons fait plus de cent kilomètres. Nous sommes arrivés à Cherchell. Nous finissons notre périple sur une piste bordée de vignobles.

     

    Le paysage est sans doute très beau mais nous n’avons pas le cœur à l’admirer. Nous sommes crevés, lessivés. Au détour d’un virage nos camions sont là qui nous attendent. Les chauffeurs, les mêmes qu’à l’aller, nous reconnaissent à peine.

    Je me souviens que l’un d’entre eux m’a avoué ce jour là être bien content d’être chauffeur. Je crois que nous n’avons même pas roupillé en revenant au camp : trop fatigués.

    Je ne me rappelle plus du tout du voyage de retour. Exceptionnellement nous n’avons nettoyé nos armes que le lendemain.

    Je garde en mémoire quelques périples de cet acabit. Le prochain que je vais vous raconter n’est pas triste non plus.

    Je me suis coltiné beaucoup d’opérations d’une semaine. Au retour nous sommes toujours dans le même état physique et moral.

    J’ai fait une drôle de constatation au cours de ces randonnées en montagne. Tant que l’on tient la forme tout le monde râle entre ses dents. Quand on commence à entendre une mouche voler, c’est mauvais signe : les gars sont fatigués. Ils marchent car ils ne peuvent pas faire autrement.

    Rien de particulier à raconter sur notre camp de base à Rouina. Notre adjudant est calme. Nous avons quand même droit à deux ou trois mésaventures.

     

    De retour d’une ballade, si l’on peut dire, nous nettoyons tous nos armes dans la chambrée. Tout est calme quand une rafale de MAT retentit. Nous plongeons tous sous nos lits : la force de l’habitude. C’est un harki qui a oublié d’enlever son chargeur avant le nettoyage. Heureusement que son arme était dirigée vers le haut. Il n’a touché personne et a juste déglingué quelques tuiles du toit.

    Bonjour l’engueulade.

    Une autre fois un petit malin a voulu faire une farce aux sous-off qui ont leur chambre au bout de notre dortoir. Alors qu’ils étaient à l’intérieur il leurs a balancé une grenade au plâtre.

    La grenade au plâtre est une grenade d’entraînement pas du tout méchante. Il fallait voir leur dégaine en sortant. Tout le monde était dehors. Ils sont sortis tout blanc de la tête aux pieds. Quelle rigolade ! Heureusement, ils l’ont bien pris mais ils n’ont jamais trouvé l’auteur de cet « attentat ».

    Comme distraction, quelques fois nous avons droit à des parties de rodéo. Il nous arrive  de ramener au camp des bourricots trouvés en opération. En zone interdite ils appartiennent forcément aux rebelles. Les harkis s’amusent avec eux. Ils les montent et organisent des courses. Certains « bourris » refusent d’avancer, alors les gars les traînent par la queue.

    Ils vont même jusqu’à organiser des « partouses » entre mâles et femelles.

    Il faut bien se distraire comme on peut.

    Je crois que nous étions en plein ramadan à cette époque. Pendant le ramadan les mulsumans doivent jeûner dans la journée. Ils ne peuvent s’alimenter que la nuit, entre le coucher  et le lever du soleil.

    En opération ils ne sont pas très fringants. Les plus âgés restent au camp de temps en temps.

    A la fin de cette période les harkis nous préparent un grand méchoui. Tout est fait dans les règles de l’art. Ils creusent un grand trou et installent un barbecue avec de grosses branches. Ils vont en forêt pour ramener des fagots d’un bois bien particulier pour faire le feu.

    Je ne saurais vous dire lequel. Ils allument le feu pendant que d’autres vont acheter des agneaux.

    Je ne suis pas sûr qu’ils les achètent.

    Ils mettent du gros sel sous les chairs. Quand la braise est importante ils font rôtir les agneaux entiers à la broche. Ils se relaient pour tourner. Quand ils sont cuits nous nous servons de nos couteaux pour découper des lamelles de viande à même la bête. Nous avons l’habitude de manger sans assiettes ni fourchettes. Je n’ai jamais dégusté un méchoui aussi bon. Il nous change drôlement de nos conserves en opération.

    Nous avons le droit à un peu plus de vin que d’habitude.

     

    La chaleur du feu aidant, quelques gars sont un peu pompettes à la fin de la journée.

     

    Nous  ne faisons pas que des grosses opérations.

    De temps en temps nous nous coltinons quelques ratissages en plaine, en zone habitée. Un jour nous nous sommes faits surprendre par le sirocco. Le sirocco est un vent sec et chaud qui vient du Sahara et qui est chargé de sable et de poussière. Nous l’avons vu arriver à l’horizon.

    C’est impressionnant.

    Nous distinguons comme un gros nuage de couleur jaune oranger. Tout le monde s’est mis à l’abri comme il a pu. J’ai eu la veine de pouvoir m’installer derrière un arbre. J’ai mis mon chèche, longue écharpe arabe, devant le nez, les oreilles et la bouche et enfoncé ma casquette sur la tête.

    Je me suis planqué au maximum derrière mon arbre.

    Le sirocco est arrivé très vite sur nous. Le sable et la poussière nous cinglent de partout : le vent est très fort. Au bout de quelques minutes il s’apaise de lui-même et tout redevient calme.

    La section se rassemble pour une revue d’effectifs. Tout le monde est là mais dans un drôle d’état.

    Nous sommes tous recouverts, de la tête aux pieds, d’une couche de sable et de poussière.

    C’est la grosse rigolade.

     

    Se faire surprendre par le sirocco nous est arrivé plusieurs fois avec plus ou moins de bonheur.

     

    Je ne vous ai pas encore parlé de l’appui aérien que nous avons pour les opérations importantes. Il y en a un surtout qui m’a marqué.

    Comme souvent dans ces cas là nous sommes partis en catastrophe en héliportage et vers le sud cette fois. Nous n’étions pas tout seul sur le terrain.

    Les paras et la légion étaient déjà en place.

    A mon avis ils avaient encerclé un important groupe de rebelles et ils avaient besoin d’un coup de main.

    Notre unité s’est mise en place à flan de piton afin de participer au bouclage de tout un secteur.

    Je me suis planqué en bordure d’un massif d’arbustes. J’ai installé mon FM devant moi prêt à tirer.

    C’est là que les avions sont arrivés.

    Tout d’abord le piper qui est un petit avion de reconnaissance et d’observation de l’armée de terre.

    C’est lui qui vole le plus bas. Il décrit de larges boucles au-dessus de la zone. Il signale la présence et la position des rebelles au sol. Il sert également de liaison entre les troupes au sol et les avions de combat.

    Il est facile à reconnaître avec ses ailes aux extrémités arrondies alignées au-dessus de la carlingue.

    Il a également une longue antenne flexible qui donne l’impression de sortir du poste de pilotage.

    Je me demande si ce n’est pas un poste radio C10 comme les nôtres qu’ils ont dans leur habitacle.

    Il ne va pas très vite et son vol, souvent au ras du sol, le rend vulnérable. Beaucoup se sont faits allumés et même abattus.

    Les autres avions ne tardent pas à arriver. Nous avons droit au grand jeu. Il y a deux T-6 et deux Corsair.

    Le T-6 est l’avion le plus efficace pour ce genre d’intervention en montagne. Il a un bruit de moteur très caractéristique. Quand on l’a entendu deux ou trois fois on ne risque pas de l’oublier. Il vole moins vite que le Corsair et est donc plus précis dans ses tirs de roquettes et de mitrailleuse.

    Le Corsair a une ligne plus moderne. Personnellement je le trouve moins efficace que le T-6 dans les montagnes du djebel algérien.

    J’ignore de quel terrain d’aviation ils viennent. Je n’ai jamais vu d’avions à réaction dans ce genre d’exercice. Je pense qu’ils vont trop vite pour ces montagnes.

     

    Notre appui aérien se met à l’œuvre et le feu d’artifice commence.

     

    Nous avons droit à toute la panoplie de leurs armes. Ils ont dû repérer les fel. Nous assistons au spectacle de notre perchoir sur le piton.

     

    Nous voyons les avions larguer leurs bidons incendiaires de napalm. Les bidons tournent sur eux-même. Quand ils touchent le sol, ils explosent et nous ne voyons plus qu’une gerbe de flammes de plusieurs dizaines de mètres de long et une bonne dizaine de mètres de haut. C’est impressionnant et terrifiant.

    Le spectacle, si l’on puit dire, a duré plusieurs heures. Je n’ai jamais vu autant de napalm largué.

    A cours de munitions, les avions sont remplacés par d’autres et ça continue.

     

    Parfois ils volent si bas que l’on distingue les pilotes.

     

    Vu la topographie du terrain, félicitation pour le pilotage. Bonjour les dégâts pour ceux d’en dessous. L’affaire prend une autre tournure pour nous.

    Nous avons ordre de nous mettre en route.

    Je me disais aussi que nous n’allions pas rester inactifs sur notre promontoire.

    C’était trop beau pour que ça dure.

    Nous descendons dans le chaudron.

    Le mot n’est pas trop fort. Quel carnage ! Tout est brûlé sur des centaines de mètres. Je ne pense pas qu’il y ait des survivants.

    Tous en ligne nous ratissons le terrain. Pour corser le tout nous avons le droit au straffing des avions au-dessus de nos têtes.

     

     

    Oh ! Que je n’aime pas ça.

    J’ai déjà goûté plusieurs fois à ce genre de festivités. A chaque fois je fais une prière pour que les gars soient aussi bons tireurs que bons pilotes.

    Une explication sur le straffing s’impose.

    Les avions se mettent en piqué à vingt ou trente degrés d’inclinaison et ils arrosent le terrain devant nous avec leurs mitrailleuses et leurs roquettes.

    Nous n’en menons pas large. Pourvu qu’ils ne se trompent pas de cible. Nous entendons les balles faucher les arbres à vingt ou trente mètres devant nous. Idem pour les roquettes, elles passent juste au-dessus de nos têtes en laissant une traînée blanche derrière elles.

    Nous avançons péniblement.

    Le fusil-mitrailleur que je porte n’est pas l’idéal pour ce genre d’exercice. Il est assez long et j’accroche des branches d’arbre presque à chaque pas.

    Le pompon est lorsque nous arrivons dans la zone incendiée par le napalm. Il n’y a plus de feuille. Il ne reste que quelques branches d’arbres. Tout est noir partout même le sol. La progression est plus facile pour moi.

     

    Finalement nous sortons de ce merdier mais dans un triste état. Nous sommes recouverts de suie de la tête aux pieds. Comme camouflage il n’y a pas mieux.

     

    Voilà un petit échantillon de nos appuis aériens.

    Nous les avons pratiqués de nombreuses fois, toujours avec la même angoisse de ne pas se prendre une balle ou une roquette .

     

    Nous sommes en juillet 1960 et la chaleur est au rendez-vous depuis quelque temps. Voilà huit mois que je suis sur le terrain avec le commando. Je fais partie des anciens maintenant et, sans vouloir me vanter, j’ai acquis une sacré expérience.

    Je connais mon FM sur le bout des doigts. Il me le rend bien : il ne m’a jamais laissé tomber. A défaut de femmes, il faut bien qu’on bichonne quelque chose.

    Je commence à en avoir marre.

    J’espère que je ferai comme les autres et que dans quatre mois au maximum je n’irai plus en opé.

    J’aurai peut-être droit à une semaine de repos à Alger. C’est une pratique courante que quelques anciens ont bénéficiée et m’ont racontée.

    Après un an de baroud, l’armée vous envoie en repos dans une villa à Alger pendant une semaine. Il paraît que l’on est chouchouté au maximum, sans doute pour nous redonner du tonus.

     

    Les opérations sont de plus en plus fatigantes et durent au moins trois ou quatre jours. Il fait plus de quarante cinq degrés à l’ombre et plus de soixante degrés au soleil.

     

     

    La soif est très pénible à supporter. Nous avons une espèce de salive toute blanche collée aux commissures des lèvres. Nous n’en avons plus dans la bouche et avons du mal à déglutir.

    Nous buvons les petites bouteilles d’alcool des rations. La soif est momentanément calmée mais après c’est encore pire.

    Ces jours là je donnerais cher pour boire une ou deux « bibines » bien fraîches. Les « bibines » sont des bières dans notre jargon. J’en ai l’eau, non, la bière à la bouche.

     

    Nous nous payons encore les montagnes au Nord de l’oued Chélif.

    Un jour nous descendons les gorges très encaissées d’un oued bien entendu à sec. Il y a des gros cailloux au fond du lit. Nous sommes contraints de sauter d’un rocher sur l’autre. Je me serai bien passé de cet  exercice.

    Je suis  obligé de porter le FM à bout de bras pour amortir au maximum son poids en sautant. Je n’aime pas ça du tout et je ne suis pas le seul. Tout le monde est tendu et, dans la mesure du possible, nous surveillons le haut du ravin.

    Une colonne à gauche qui surveille à droite, une autre à droite qui surveille à gauche. Il n’y a pas mieux pour nous tendre une embuscade.

     

    Je me demande quel est le con qui nous a fait passer par là.

    C’est une faute impardonnable pour un commando.

    Ne soyons pas mesquin, tout le monde peut se tromper et nos cartes ne sont pas toujours très justes. Enfin nous sortons de ce défilé sans casse et nous respirons un grand coup. Une heure après nous arrivons sur un chemin en plaine. Les camions nous attendent. Nous rentrons au camp.

     

    J’ai un autre bon souvenir de ce mois de juillet. Avec quelques copains nous nous tapons une bonne bouffe dans le seul resto de Rouina. C’est un petit bar dans la rue principale. Il n’y a pas d’autre rue et c’est en fait la route nationale. Il est tenu par une charmante dame, une Pied Noir, de trente à quarante ans. Elle ne prépare des repas que sur commande. Nous sommes une bonne dizaine. Comme il fait beau, la patronne a installé notre table dehors sous les platanes du trottoir. Nous commençons par nous taper quelques pastis. L’ambiance est bonne et la bouffe aussi.

    Malgré la chaleur le couscous traditionnel est au menu.

    Nous arrosons le tout d’un vin d’Algérie bien sûr.

    La police militaire n’est pas venue nous emmerder. Nous sommes peut-être trop nombreux. Il ne faut pas nous chatouiller. 

     

    Le retour au camp s’est effectué sans problème mais en chaloupant un peu. La journée a été bénéfique pour le moral. J’ai gardé quelques photos de ce déjeuner.

    C’est avec ces photos que j’ai pu me remémorer l’insigne des commandos de chasse. Nous le distinguons très bien sur la manche droite de certains d’entre nous.

    Je ne l’ai pas porté souvent : pour quoi faire !

    Je me souviens l’avoir cousu sur la manche droite de mon blouson pour partir en permission en métropole.

     

    Fin juillet, au cours d’une opération, j’ai une drôle de surprise.

    Je crois qu’à cette époque je ne portais plus le FM. J’ai été parachuté dans une équipe de voltigeurs armé d’une MAT depuis quelque temps, un peu pour encadrer les nouveaux.

    Au cours d’une opé, en forêt, nous sommes tombés sur trois  Fel  armés de fusils de chasse. Les copains ont été les plus rapides pour tirer et les trois gars se sont retrouvés au tapis.

    Le lendemain donc, alors que nous nous reposons dans une petite vallée, près d’un bois, mon adjudant me gratifie d’une mission de reconnaissance. Il m’envoie seul à l’autre bout du bois, à environ trois kilomètres. J’exécute ses ordres mais je n’en mène pas large. Il reste peut-être des rebelles dans le secteur.

    Je commence à avoir de l’expérience, aussi, dans ces cas là, je ne prends pas de risque.

    J’ai un chargeur engagé dans ma MAT qui est armée et donc prête à tirer. Je ne me sers jamais des sécurités. En général, dans un face à face, c’est le premier qui tire qui gagne. Heureusement pour moi je ne fais pas de mauvaises rencontres.

    En fin de journée nous retrouvons un camion qui vient nous ravitailler.

      


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