• SOUVENIRS DE LA GUERRE D'ALGERIE 5

    ENCORE UN STAGE

     

     

    Mon adjudant-chef m’invite à rentrer au camp avec le camion car une mission m’attend là-bas. Je n’en sais pas plus et, sur le chemin de retour, je me pose pas mal de questions.

    Quand j’arrive au camp l’adjudant d’ordinaire me convoque. Prépares ton paquetage, tu pars demain pour Alger faire un stage de radio. Celle là c’est la meilleure. Je m’attendais à tout sauf à ça. C’est pour remplacer un des deux radios du commando qui aura bientôt la quille me dit-il.

    Vous pensez que je suis drôlement content : terminées pour moi les opérations.

    Je commence à comprendre la manœuvre de mon chef de section quand il m’a envoyé tout seul dans le djebel.

     

     

     

     

     

    Il savait que je partais à Alger et il m’a fait une vacherie avant de partir. De perdre un élément d’expérience ne lui a pas plu du tout.

     

    Il y a deux radios au camp pour assurer la permanence vingt quatre heures sur vingt quatre.

    Ils ne partent jamais en opération. Ils pratiquent le morse pour les messages codés des opérations. Ils ont également en charge un petit standard téléphonique. C’est vraiment un boulot peinard. Deux mois de stage ce n’est pas de trop surtout pour apprendre le morse. La belle vie à Alger en août et septembre ça ne se refuse pas.

    Le lendemain j’allais au PC à Carnot prendre mon ordre de mission et en route pour Alger par le train.

     

    Avouez que c’est un comble. Non content de m’être farci un stage commando, on m’offre maintenant un stage de transmissions. Ce sera quoi le prochain ?

     

    Le voyage se passe bien et me voilà à Alger à la caserne d’Orléans. Cette grande caserne se situe sur les hauteurs de la ville, au-dessus du quartier de Bâb El Oued d’un côté et de la Casbah de l’autre. La Casbah est le palais d’un chef et également les rues autour du palais. C’est vraiment le quartier arabe, avec ses toutes petites ruelles piétonnes, qui existe dans certaines villes du Maghreb.

     

     

    Nous sommes trente quatre à faire ce stage, de toutes sortes de régiments. Je suis le seul venant d’un commando. Dans la cour de la caserne on croise à peu près tous les uniformes, d’autant plus qu’il y a d’autres stages dans d’autres disciplines. Nous prenons possession de notre dortoir le jour même et de notre salle de cours le lendemain.

    Notre instructeur est un adjudant chef de carrière d’allure plutôt « British ». Grand et mince, il porte le short et les grandes chaussettes, avec, je l’avoue, une certaine élégance. Sa tenue est toujours impeccablement repassée. Il est brun et arbore une fine moustache : la classe quoi. Assez autoritaire, nous finirons par l’apprécier car il sait de quoi il parle et c’est un très bon enseignant.

    Les cours sont surtout axés sur l’apprentissage du morse. Ce n’est pas évident du tout. Nous finissons par en avoir plein les oreilles des ti ti et des ta ta.

    Le ti représente le point et le ta le trait.

    Nous nous familiarisons aussi avec les différents systèmes de codage des messages. Nous nous exerçons également sur les radios utilisées dans l’armée. Nous apprenons à chercher un émetteur et à se caler dessus afin de pouvoir correspondre dans les meilleures conditions. Ce n’est pas toujours facile surtout quand le correspondant souhaité est loin.

     

     

    Je vous reçois cinq sur cinq.

    J’ai entendu cette phrase des centaines de fois sans parler des alpha, bêta, charly pour a, b, c et la suite. Ceci dit nous apprenons vite et devenons tous des pro dans les transmissions. A la fin du stage nous passons un examen équivalent aux pelotons 1 et 2. Je suis reçu sans problème.

    Nous ne fréquentons pas que l’école. Tous les jours de dix sept heures à vingt deux heures, le samedi et le dimanche toute la journée, nous pouvons sortir de la caserne.

    C’est la vie de château.

    La aussi je suis rentré plusieurs fois en dehors de l’heure légale et en passant carrément par la grande porte. Je ne me rappelle plus si c’est à Melun ou à Alger que je me suis fait pincer et que j’ai passé une nuit en prison.

    Avec cinq copains nous formons une petite équipe.

    Lors de nos premières ballades en ville, nous sommes étonnés de ne rencontrer que très peu de militaires. Renseignements pris, il s’avère que la plupart se mette en civil dans Alger. C’est formidable. Nous ne sommes plus obligés de saluer les gradés en permanence. Nous nous organisons très vite. Je demande à mes parents de m’expédier quelques vêtements civils. Comme c’est l’été, il n’en faut pas beaucoup.

     

     

    Nous nous lions d’amitié avec un patron de bar à Bâb El Oued. Il nous autorise à nous changer chez lui dans son sous-sol.

    C’est ainsi que nous déambulons dans Alger en civil. Nous n’avons pas les moyens de faire de grosses fiestas mais nous passons notre temps sur les plages du coin : c’est gratuit. En été à Alger il fait toujours beau et souvent très chaud. Comme je suis fan de natation, je passe mon temps libre dans la mer.

    C’est à cette époque que j’ai commencé à apprécier les mers chaudes bien au-dessus de vingt degrés.

    C’est quand même plus agréable que de continuer le baroud dans le djebel. De temps en temps nous déjeunons dans notre bar attitré. Je crois que le patron nous fait un petit prix.

    Nous avons bu pas mal de pastis chez lui. Vous savez comme celui de Marseille, le vrai. Il faut bien compenser d’une manière ou d’une autre.

    Il nous arrive d’aller danser certains dimanches après-midi. Nous dragons sec et finissons par lier connaissance avec quelques filles que nous retrouvons souvent, surtout sur les plages. En général les filles nous cataloguent tout de suite comme des militaires malgré nos vêtements civils : sans doute à cause de notre allure.

    Je me souviens d’un bal un dimanche après-midi.

     

     

    Je dansais avec une « Pied Noir ». Pendant la conversation je me suis fais traiter d’occupant. J’ai été tellement abasourdi que je n’ai pas répondu. Après coup ça m’a foutu en colère. Se faire traiter d’occupant par une européenne que l’on vient défendre, c’est un comble. J’espère qu’elle s’est fait virer d’Algérie. De temps en temps nous prenons le bus pour aller sur d’autres plages à l’extérieur d’Alger.

    Suivant l’état de nos moyens nous nous payons une séance de ciné. Il y a quelques bonnes salles avec des films récents comme en France.

    A l’époque l’O.A.S ne mettait pas encore de bombes.

    Ce qui est moins drôle c’est d’être parfois de garde la nuit à la caserne. Bien entendu, quand notre tour arrive, ils nous donnent les plus mauvais coins. Ils savent que je suis commando et ils me réservent l’endroit le plus dangereux. En d’autres termes, je suis toujours de garde, en pleine nuit, dans la Casbah.

    Je passe une à deux heures dans une ruelle de deux mètres de large. J’ai beau avoir barouder partout, je ne suis pas fier et je reste le dos collé au mur en surveillant à gauche, à droite et, le plus souvent, en hauteur.

    Comme arme ils m’ont filé un pistolet mitrailleur : une vieille Thomson. Je ne sais même pas si elle marche. Je crois que c’est une arme anglaise. Le dessous du fût et la crosse sont en bois.

     

    Elle est assez imposante et très lourde. Je regrette beaucoup de ne pas avoir ma MAT. Je crains surtout la grenade balancée d’une fenêtre. Enfin je réussis à m’en sortir sans bobos.

    Malgré ces inconvénients, le stage ne se déroule pas trop mal. Tout a une fin et, après un pot d’adieu et nos diplômes en poche, chacun doit  regagner son unité.

    Au revoir Alger.

    Je n’ai jamais eu de nouvelles de ces potes là. J’en suis  en partie responsable. Il faut que quelqu’un fasse le premier pas. Je ne l’ai pas fait et c’est dommage mais ça on ne s’en rend compte que quelques années après. C’est trop tard. 

    De retour au commando, je réintègre ma quatrième section, non sans nostalgie.

    Je n’ai pas le moral car je vais reprendre les opérations. Le copain que je dois remplacer aux transmissions est encore loin de la quille.

    Je n’ai pas pu avoir d’explication avec mon adjudant-chef sur son comportement à mon égard avant mon départ pour Alger. Vous vous  rappelez ? la mission seul dans le bled. Il a fini son temps et a regagné la métropole.

    C’est un jeune sous-lieutenant, tout frais des E.O.R. qui le remplace

    Il va y avoir encore de l’éducation à faire.

     

    Manifestement l’armée manque de gradés pour nous encadrer. Ils ne sont peut-être pas chauds pour intégrer un commando. Je crois que, pour eux, il faut être volontaire pour venir dans notre unité. Notre nouveau chef  aime le baroud. Il fera sans doute un militaire de carrière.

     

    J’ai droit à une promo et me voilà chef d’équipe.

    Je me retrouve à la tête d’une « pièce » : vous vous rappelez, l’équipe qui trimballe le fusil mitrailleur. Nous sommes six : un tireur, quatre porteurs de musette de chargeurs et moi.

    Pour moi c’est le pied, j’ai un pistolet mitrailleur comme arme. Je me sens léger, léger...

    Chacun son tour d’avoir du poids sur le dos, moi j’ai donné. J’en profite pour me trimballer deux grenades dans les poches du haut de ma veste. Mon expérience me dit que ça peut toujours servir.

    J’ai appris à les lancer au stage dans l’Ouarsenis.

     

    Nous sommes fin octobre 1960. Il y a plus de onze mois que je suis au commando dont presque dix sur le terrain. Je n’ai pas encore posé la seule et unique perme de détente vers la métropole que nous pouvons avoir. J’en ai marre. Je pose ma perme de quinze jours pour les fêtes de fin d’année. A mon grand étonnement elle est acceptée.

     

    A la fin de l’année, il y aura plus d’un an que je n’ai  pas revu la France.

     

    Je suis bien content de passer Noël et le Jour de l’An en famille.

    En attendant les opérations se succèdent sans relâche. Nous sommes en décembre et nous n’avons plus de beau temps.

    Les premières pluies d’hiver nous tombent dessus et nous rentrons souvent au camp bien trempés. La flotte ne nous empêche pas de dormir à la belle étoile. Je m’en passerai bien de cette étoile.

    Pas de panique, mon départ pour la métropole est proche.

     

    MA PERMISSION DE DETENTE

     

     

    Et voilà, j’y suis au jour J.

    Prenez votre respiration car la suite n’est pas triste. Vous allez voir. S’il y en a un qui n’a pas de pot, c’est bien moi.

    A l’époque j’avais un sacré « look ». Pour faire plus mâle je me suis laissé pousser un peu de barbe. Ce n’est pas facile à définir : moitié collier, moitié bouc. C’était la mode dans l’armée. Malgré mes cheveux châtains j’ai les poils de barbe bien noirs. Avouez que la nature est drôlement foutue. 

    Figurez-vous que les mecs du chemin de fer algérien se sont mis en grève pour une durée indéterminée. Ils n’ont qu’à venir à ma place, j’irai à la leur.

    Là je suis en pétard.

     

    Je prends quand même un camion pour le PC afin d’avoir mon ordre de mission pour ma perme. Apparemment ils n’ont pas reçu d’ordres contraires car ils me la donnent sans problème.

    Comme je n’ai pas de contre ordre, je reviens à Rouina par le même camion, avec ma perme en poche en bonne et due forme.

    Le lendemain je vais à la gare de Rouina. La grève est peut-être terminée. « manque de pot », elle est toujours là et bien là.

    Dans la gare je tombe sur un gars qui est dans le même cas que moi. C’est un spahis de la caserne d’à côté. Nous discutons sur la manière de faire. Je ne vais tout de même pas retourner au camp. Finalement nous décidons de gagner Alger en stop. Il faut vraiment être gonflé. Après plus de onze mois de baroud je n’ai plus peur de rien. Par la route il y a environ cent cinquante kilomètres. Je ne vais tout de même pas renoncer à ma perme maintenant.

    J’en ai besoin pour décompresser sinon je vais devenir dingue.

    Nous décidons de nous munir d’une arme. Mon pote du moment retourne à sa caserne et revient avec un pistolet.

    A défaut de lever la jambe comme certaines nanas, nous levons le pouce dans le patelin sur la N4.

    Pourvu qu’on ne tombe pas sur un gradé.

     

    Un Arabe accepte de nous prendre dans sa camionnette jusqu’à Blida. Il ne va pas plus loin. Blida est sur la route à cent kilomètres. C’est une ville assez importante à cinquante kilomètres au sud d’Alger. A Blida nous trouverons forcément une voiture pour Alger.

    Nous acceptons et vogue la galère.

    Nous sommes, malgré tout, sur nos gardes.

    La cabine de la camionnette est suffisamment grande pour nous loger tous les trois.

    Je ne me souviens plus de la nature de sa petite cargaison. La route n’est pas trop mauvaise mais nous sommes quand même inquiets quand nous rentrons dans un petit défilé. Nous n’en menons pas large car c’est l’endroit idéal pour une embuscade. Nous ne rencontrons pas grand monde si ce n’est quelques piétons avec leur bourriquot. Nous ne voyons même pas une patrouille militaire.

    Nous arrivons enfin à Blida. La campagne est plus hospitalière et même assez belle.

    Nous quittons notre transporteur après les remerciements d’usage.

    Nous nous mettons en quête d’un autre véhicule. Le plus gros du trajet est fait. Ce serait le comble de rester coincés à Blida. Nous n’attendons pas très longtemps. Un coupé Simca s’arrête à notre hauteur.

    Ils sont deux Européens à l’intérieur et ils nous invitent à regagner Alger avec eux.

     

    Nous avons encore de la chance. Nos hôtes sont assez sympas et les discussions vont bon train.

    A Alger ils nous déposent devant notre caserne de transit. Nous sommes dans les temps et devons embarquer le lendemain matin.

    Je ne sais plus à quel moment le Spahi et moi nous nous sommes séparés. J’espère qu’il n’aura pas de problème avec son arme.

     

    J’ai ma petite idée sur la manière de faire la traversée : certainement pas à fond de cale comme la première fois. Je me souviens qu’à l’aller des matelots proposaient de louer leur couchette. C’est une pratique courante sur les bateaux.

    Ils se font un petit plus pour la paie.

    Quand l’un d’eux m’accoste pour me proposer la sienne j’accepte le marché. Je ne me souviens plus du prix de la location. Je crois que c’était assez cher. Nous sommes trois dans la cabine. C’est  plus confortable que sur un transat à fond de cale. Nous avons même l’occasion de boire un coup et de prendre des repas plus corrects. Pour dormir il n’y a pas eu de problème non plus. La couchette est confortable.

    Je n’ai pas de mérite, je dors n’importe où. A noter que c’est toujours vrai aujourd’hui. Je fais des envieux. Il m’est arrivé de dormir debout dans un couloir de train.

     

    La traversée a duré encore plus de trente heures.

    Arrivé à Marseille il faut prendre le train jusqu’à Paris. A Paris je change de gare pour Montparnasse et en route pour la Bretagne. Pour finir je fais encore un autre changement à Guingamp pour prendre le petit train qui va sur Carhaix.

    Je m’arrête à Callac où m’attendent impatiemment mes parents. Vous parlez d’un périple : plus de trois jours de voyage.

    Comme je vous l’ai dit, c’est la seule fois que j’ai porté l’insigne des Commandos de chasse sur ma manche droite. Avec le béret noir j’ai suscité la curiosité de beaucoup de gens qui voyait un commando pour la première fois. De bonne grâce j’ai répondu à leurs questions. 

    Je pense qu’il est inutile de vous décrire la joie de mes parents. Ils ne m’ont pas revu depuis treize mois. Ma mère n’a jamais réalisé ce qu’est un commando et c’est aussi bien. D’ailleurs dans mon courrier je ne leurs ai pas raconté le dixième de ce que je faisais là-bas.

    Mon père c’est autre chose. Ayant fait la guerre de quarante il en est conscient. J’en ai encore eu la preuve il n’y a pas longtemps. Ceci dit ça fait toujours plaisir de revoir les siens.

    Il n’y a rien de changé dans le village.

    J’ai encore un coup de chance. Je retrouve un copain d’école qui est également en perme de détente comme moi.

     

     

    Inutile de vous dire que nous ne nous sommes pas quittés pendant quinze jours. Nous avons fait la fête tout le temps et les réveillons n’ont pas été tristes.

    J’ai une pensée pour mes potes qui sont restés là-bas. Malheureusement tout a une fin et il faut repartir. Le cœur n’y est pas mais je n’ai pas le choix. La séparation avec mes parents se fait dans le hall de la gare de Guingamp. Ma mère y va de sa petite larme. Mon père ne dit rien mais, je sais qu’il n’en pense pas moins.

    Mon voyage de retour se fait dans les mêmes conditions qu’à l’aller. Je ne sais plus si j’ai reloué une couchette dans le bateau.

    Il y a tout de même une différence : les cheminots algériens ne sont plus en grève.

    C’est l’inverse qu’ils auraient dû faire. Je serai bien rester en villégiature à Alger.

     

     

     

     

    ENCORE DES OPERATIONS

     

     

    Rien de neuf au camp à Rouina.

    Si, j’ai une petite surprise. Comme j’ai fait mes pelotons de transmission, je suis nommé brigadier à partir du 1er janvier 1961. Ce n’est pas le grade qui m’intéresse mais la paie. Elle est quand même bien plus importante. Je n’ai plus besoin d’aide financière extérieure. Je peux même faire des économies qui me permettront, plus tard, d’acheter un appareil photo.

    Je retrouve tous mes potes et les gars de mon équipe. Et voilà je suis reparti pour me coltiner encore des opérations.

     

     

    La place aux transmissions n’est pas encore vacante.

    Je commence à en avoir vraiment mare.

    Si ça continue je vais finir par me faire buter.

    J’y pense de plus en plus.

     

    Je n’ai pas connaissance que quelqu’un d’autre soit resté aussi longtemps opérationnel dans le commando. Notre capitaine est toujours aussi décontracté. S’il continue il va se faire tuer.

    Comme je suis brigadier, mon chef de section ne m’a pas raté. Il m’a nommé illico chef d’équipe.

    J’ai donc quelques nouveaux sous mes ordres. Je ne me souviens plus qui porte le FM après moi.

    Quelques bonnes opé sont encore à l’ordre du jour.

    Je me souviens de l’une d’elle en particulier.

    Les camions nous ont déposés en bout de piste en fin de journée comme d’habitude. Nous allons encore crapahuter de nuit. Je ne sais pas par quelle circonstance notre équipe s’est retrouvée en queue de colonne. Encore une erreur d’encadrement. C’est une équipe légère de voltigeurs qui doit fermer la marche. J’ai mis tous mes gars devant moi par précaution car je suis quand même le plus expérimenté et surtout le mieux armé.

    Je n’ai jamais vu une nuit comme celle-là. Elle est d’un noir d’encre. Nous ne voyons pas à trois mètres. Nous marchons à deux mètres de celui de devant.

    Dans ces cas là, dès que la colonne s’arrête on tape dans le copain qui vous précède.

     

     

    Les jurons  fusent et nous nous arrêtons souvent pour recoller les morceaux. Je me demande encore comment on faisait pour ne pas se perdre définitivement.

     

    Etant le dernier de la colonne je n’en mène pas large.

    Je vais finir par me faire égorger.

    Je vous garantis que ça tourne dans la tête.

    J’ai dû faire la moitié du parcours en marche arrière. La tension nerveuse est très importante et à la fin du périple, au petit matin, je suis vidé. C’est un peu « con » car si nous ne voyons rien, ceux d’en face ne voient pas plus. Que voulez-vous, on ne se refait pas.

    Heureusement nous sommes restés sur place une bonne partie de la journée si bien que l’après-midi j’étais frais et dispo.

     

    C’est beau d’être jeune.

     

    Nous avons changé de secteur pour la nuit. Nous nous sommes installés en haut d’un petit col.

    Dans la nuit nous sommes réveillés par des bruits bizarres. Nous ne prenons pas le temps de nous poser des questions. Les rafales de MAT fusent de tous côtés. Tout le monde est réveillé et nous attendons le jour qui commence à poindre pour aller au résultat.

    La surprise est de taille.

    Nos visiteurs de la nuit sont des sangliers. Il y en a au moins une dizaine au tapis.

     

     

    En Algérie il n’est pas rare de voir des hardes de sangliers d’une cinquantaine de têtes.

    Comme notre opération est terminée, notre capitaine nous autorise à en ramener quelques-uns.

    Nous en attachons cinq ou six, les plus jeunes, sur de solides branches d’arbre et nous les portons, à tour de rôle, jusqu’à la route où nous attendent les camions. Nous allons encore une fois pouvoir améliorer nos repas au camp.

    Nous nous sommes régalés pendant quelques jours.

    Une autre fois, au cours d’un ratissage en moyenne montagne, j’ai passé un sacré bon moment dans une mechta.

    La zone, qui est habitée, doit être fouillée.

    Avec deux copains nous nous trouvons devant une habitation beaucoup mieux construite que les autres. Devant la porte il y a une allée bordée d’un jardin et clôturée par un grillage.

    Le jardin, très bien entretenu, est constitué en grande partie d’un potager. Les légumes, surtout des poireaux et des carottes, sont magnifiques.

    Je ne sais pas si le propriétaire a vu notre étonnement, toujours est-il, qu’après notre fouille, il nous a proposé de partager sa soupe de légumes.

    Il n’a vraiment pas de rancune.

    Nous venons de mettre le bordel dans sa maison et, pour nous remercier, il nous offre de partager son potage. Avouez qu’il y a de quoi se poser des questions sur la nature humaine.

     

     

     

    Décidément je n’aurai pas appris qu’à me servir d’une arme en Algérie.

     

    Le potage a mijoté plusieurs heures dans la cheminée.

    J’aurais préféré le manger dans d’autres circonstances. Notre hôte parle très bien le français.

    Nous hésitons et, comme nous avions déjà fouillé sa maison, nous finissons par accepter.

    Alors là, mes enfants ! Comme dirait quelqu’un de bien connu sur les télés gourmandes, je n’ai jamais mangé de ma vie un potage de légumes aussi bon. C’est peut-être que nous avons perdu le goût des bonnes choses. Nous discutons un peu avec notre hôte. Il a travaillé en région parisienne pendant quelques années. Comme il avait le mal du pays il est revenu auprès de sa famille. Autre particularité, sa femme, très belle, n’est pas voilée, même en notre présence. Ses deux enfants sont très bien habillés et surtout très propres.

    L’intérieur de sa maison est simple. Le sol est en terre battue et « nickel ». Il n’y a pas une brindille de bois qui traîne.

    Nous le remercions chaleureusement de son hospitalité et quittons ce joli coin avec regret. Les autres nous attendent avec anxiété. Nous ne leur racontons pas notre escapade pour protéger la quiétude de cette famille formidable. Notre fouille a été plus longue que prévu, c’est tout.

     

     

    Je crois que c’est à cette période que nous avons du changement dans notre alimentation sur le terrain. Les vieilles boites sont abandonnées. L’armée a, sans doute, fini par les épuiser.

     

    Nous touchons désormais des rations plus actuelles. Elles sont dans des sacs individuels en plastique transparent. Le conditionnement n’est pas terrible mais, on s’en fout, c’est la qualité de la nourriture qui nous intéresse.

    Les conserves sont nettement meilleures. Je crois qu’il y a même une boite de thon : le luxe.   

    Au cours d’une opération nous essuyons de sacrés accrochages et nous avons de la casse. Nous enregistrons un mort et deux blessés dans nos rangs. Je me rappelle très bien du copain qui y est resté.

    Blond de taille moyenne, il était très sympa.

    Comme nous sommes en plein djebel, c’est un hélico, une alouette je crois, qui est venue évacuer notre mort et nos blessés.

    Ces hélico sont spécialement équipés pour ce genre de transport. Les patins d’atterrissage sont munis, sur le dessus, d’une espèce de boite hermétique qui sert aussi bien à évacuer les morts que les blessés.

    On dirait un cercueil. J’en ai froid dans le dos.

    Pour nos déplacements sur le terrain, nous voyons arriver de nouveaux camions plus modernes. Ils sont moins solides que les autres et tout juste bons pour les déplacements sur le bitume.

     

     

    Du coup, nous voyons revenir nos vieux GMC pour les parcours sur les pistes.

     

    C’est également à cette époque qu’une section de notre commando tombe sur deux ou trois individus intéressants. Ils ne sont pas armés. Ce sont des collecteurs de fonds pour le FLN.

    Ils ont pas mal de papiers sur eux et, surtout, une importante somme d’argent. Nous les ramenons au camp. Là notre capitaine a une riche idée. Il décide de garder l’argent pour le commando. Je ne sais pas ce que sont devenus les gars. Ils ont sans doute fait une « corvée de bois ». La « corvée de bois » consiste à emmener des fel en forêt et à revenir sans eux.

    Avez-vous compris ?

    J’en ai vu quelques-unes pendant mes deux ans mais je n’ai part


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