• SOUVENIRS DE LA GUERRE D'ALGERIE 6

    LES TRANSMISSIONS

     

     

    A ce stade de mon récit j’ai, comme qui dirait, un trou de mémoire. Je crois que j’ai hérité de ma place de radio en même temps que la construction de cette piscine.

    Peu importe, l’essentiel est d’en avoir terminé avec les opérations : ouf !

    Comme il y a un moment que j’ai fait mon stage il faut que je me remette dans le bain. Le premier opérateur me donne un coup de main. La radio et le morse ne s’oublient pas si vite et je retrouve mes marques assez rapidement.

    Cette mutation interne est un tournant pour moi.

    Voilà près de seize mois que je suis dans le commando dont quatorze sur le terrain.

     

    Si je compte bien j’ai dû dormir plus de deux cents nuits dehors à la belle étoile et par n’importe quel temps. Enfin je crois que cette fois-ci c’est terminé.

     

    Détrompez-vous, l’armée me réserve encore une surprise.

     

    Pour l’instant je m’installe dans mes nouveaux locaux. Je vous invite à faire le tour du propriétaire avec moi. Nous occupons un deux pièces de plein-pied mitoyen avec l’habitation principale des gradés d’un côté et le local des infirmiers de l’autre côté.

    Le logement est composé d’une entrée assez grande équipée de quelques étagères pour entreposer un peu de pièces détachées, principalement des batteries pour les radios. La porte d’accès est assez basse : attention à la tête.

    Nous passons dans la pièce principale par une entrée sans porte. A droite, sur une étagère fixée au mur en guise de bureau, sont installés nos équipements radio. A gauche en rentrant il y a les deux lits, une table, des sièges et quelques étagères. La grande pièce est munie de fenêtres, genre vasistas, donnant sur l’extérieur du camp. Entre les deux pièces il y a un comptoir.

    Je pense que c’était le bar de l’unité qui nous a précédé en ces lieux. Le sol est en terre battue comme presque partout.

     

     

     

     

     

    Seul le bâtiment principal des gradés est en carrelage. Sur le toit de notre deux pièces sont installés les différentes antennes et le départ de la ligne téléphonique. Notre standard est petit : une dizaine de lignes tout au plus. Un gros réveil trône sur une radio. Nous avons des vacations toutes les deux heures même la nuit. Il ne s’agit pas de les rater. Nous les faisons à tour de rôle.

    Les vacations sont contraignantes mais il ne faut pas faire le difficile. Je les préfère quand même aux nuits à la belle étoile. Comme on dit : « il n’y a pas photo ». S’il y a un message urgent entre deux vacations, l’expéditeur nous prévient par téléphone et nous nous mettons tout de suite sur la bonne fréquence. Tous les messages importants, comme les déplacements du commando, sont codés et donc reçus en morse.

    Un autre avantage, non négligeable, les radios ne montent pas la garde.

    Mon pistolet mitrailleur va prendre la poussière.

    Ce n’est pas grave, lui et moi allons pouvoir nous reposer.

    Avoir fait la guerre d’Algérie ne veut donc pas dire grand chose. Le nombre de soldats à avoir vraiment baroudé et fait plus de cent cinquante opérations comme moi est assez faible : quelques milliers peut-être et encore.

     

     

    A côté de nous sont installés les deux infirmiers. Ils ont à peu près le même logement.

    Comme ils sont sympas, nous mangeons souvent ensemble. A la différence de nous ils participent, à tour de rôle, aux opérations. Il y en a donc toujours un au camp, l’autre est en opération. Ils ont également un petit stock de médicaments pas mal achalandé.

    J’ai ouie dire qu’ils faisaient bien les piqûres.

    Nous allons, nous-mêmes,  chercher nos repas aux cuisines qui ne sont pas très loin. Nous sommes toujours copieusement servis. Je crois savoir pourquoi. J’ai un copain de la quatrième section qui a été muté aux cuisines pour finir son temps. Il a porté une musette de chargeurs FM comme moi. 

    Nous sommes en avril 61. Il fait déjà beau.

    Nous installons une table dehors pour manger, pour nous quatre ou nous trois selon les circonstances. Mon collègue radio a eu la quille.

    Il a été remplacé tout de suite si bien que c’est moi l’ancien. Le nouveau a fait son stage à Alger comme moi. Il me semble que c’était un parisien. C’est avec lui que l’on a commencé à jouer au bridge.

     

     

    Les beaux jours étant là, nous profitons de la piscine au maximum. Nous ne sommes pas les seuls. « Radio couscous » marche si bien que nous voyons débarquer des gendarmes et autres militaires, parfois avec femmes et enfants.

    C’est la seule piscine à des dizaines de kilomètres à la ronde.

    Le problème est que son accès nous est interdit pendant leurs présences. Il ne manquait plus que ça.

    Nous l’avons construite pour nous cette piscine, pas pour les autres. Le litige a dû parvenir aux oreilles de notre commandant.

    Comme nous sommes des « fouteurs de merde » et nous connaissant, il a préféré renoncer à ce privilège accordé à des gens extérieurs. Nous ne les avons plus revus. Avec un de mes copains infirmier nous sommes pratiquement tous les jours dans la flotte.

    Nous sommes tous les deux de bons nageurs et nous aimons ça.

     

    Le mois d’avril est un mois à évènements importants.

    Notre Capitaine a encore une idée à la con. Excusez-moi, vous allez voir,  ce n’est pas exagéré.

    Il a trouvé qu’un seul radio présent au camp suffisait et donc que l’autre pouvait participer aux opérations sur le terrain.

     

     

     

     

     

     

    Comme les infirmiers nous devons être en opé à tour de rôle. Je vais encore repartir en opération. Comme si je n’en avais pas fait assez.

     

    C’est moi qui m’en suis tapé le plus dans le commando. Me voilà cette fois avec un poste C10 sur le dos pour servir de radio au « pitaine ».

    Je vais voir mon copain le fourrier pour avoir une arme.

    Comme à tous les radios il veut me donner un revolver. Pas question tu me files une MAT. Moi je veux une arme, une vraie et je suis reparti en opé avec ma MAT.

    Décidément notre Capitaine innove.

    Pour les opérations d’une journée il va sur le terrain en jeep. Nous sommes quatre à bord. Le chauffeur, le « pitaine », moi et un autre gars. Ce qui est moins drôle c’est d’installer dans la jeep un gros poste de transmission avec son antenne : un C9.

    C’est reparti : vogue la galère.

    Pas question de faire du zèle mais le minimum possible. J’ai souvent laissé le capitaine répondre lui-même aux appels radio.  

    Heureusement, pour moi, malheureusement pour d’autres, ce genre de tribulation n’a pas duré très longtemps.

     

    Si vous permettez, j’aimerai que l’on fasse le point de mon séjour aux frais de la princesse.

    Rappelez-vous. J’ai porté la musette de chargeurs FM. Après je me suis coltiné le FM.

    J’ai été dans une équipe de voltigeurs, puis chef d’équipe du FM. Maintenant je porte le poste radio. J’ai tout fait  dans ce commando sauf infirmier.

    Qui dit mieux ?  

     

    Au cours d’une opération les gars ont eu un accrochage. Je n’étais pas parti comme radio cette fois- là. Ils ont ratissé tout un secteur dangereux.

    C’est au cours de ce ratissage que notre Capitaine est rentré dans une grotte avec son arme à la ceinture comme d’habitude. Manque de chance il y avait un « Fel » de planqué à l’intérieur. Il y a eu des coups de feu et notre Capitaine s’est retrouvé au tapis.

    Mon pote l’infirmier est rentré à l’intérieur de la grotte et a tué le « Fel ».

    Je ne saurai dire si notre Commandant est mort avant ou pendant son évacuation.

    C’est mon copain l’infirmier qui m’a relaté toute l’histoire à son retour.

    Je vous l’avais dit qu’il arriverait des bricoles à notre Commandant à cause de sa décontraction.

    Autant que je m’en souvienne, il laisse derrière lui une veuve et trois enfants en bas âge.

    Le commando s’est vengé.

     

    Avant de rentrer au camp les gars ont pratiquement rasé un petit village qui se trouvait près de la grotte. Je suis bien content d’avoir échappé à cet accès de fureur.

    A la suite de cet événement, notre infirmier a reçu une décoration. Le fait d’avoir tué quelqu’un l’a perturbé par la suite. Il n’était plus le même.

     

    C’est le lot de tous.

     

    Nous avons le plaisir de voir arriver au camp notre lieutenant B… en remplacement de notre capitaine. Vous savez, le lieutenant que nous avons déjà eu. Les choses changent pour moi. Plus question d’aller en opé : re ouf !

    J’espère que, cette fois-ci, ils vont me foutrent la paix jusqu’à la quille.

    Jusqu’à présent j’ai essuyé les coups de sirocco sur le terrain. Cette fois je dois le subir dans mes nouveaux locaux. Là aussi nous avons été prévenus à temps. Nous avons tout fermé et calfeutré du mieux possible. Comme d’habitude, il n’a pas duré très longtemps. Malgré nos précautions la poussière et le sable se sont incrustés partout. Toute la pièce est de couleur jaune ocre. Nous avons mis un sacré bout de temps pour nettoyer. Les équipements radio n’ont pas trop souffert. C’est du matériel solide.

     

    Je vous disais que le mois d’avril est un mois important. C’est le 22 avril 1961 qu’il y a eu le putsch des Généraux à Alger. Nous avons, bien sûr, suivi les évènements de très près.

    Dans les deux ou trois jours qui ont suivi ces évènements, notre commandant a voulu nous faire partir en opération. Nous avons refusé et exigé de savoir pour qui nous partions : pour la France ou pour les insurgés.

    Il a été surpris.

    Finalement le patron du régiment s’est déplacé en personne pour nous assurer de leur intégrité. Il nous a convaincus et nous sommes partis.

     

    Je pense que le putsch était perdu d’avance car la quasi-totalité des appelés était contre. A ce stade j’ai  craint l’affrontement entre les troupes. Mon avis vaut ce qu’il vaut. Si la majorité des troufions avait suivi, le putsch aurait réussi, le gouvernement serait tombé et les militaires auraient pris le pouvoir. N’oublions pas qu’il y avait pas mal d’unités comme nous, rodées à la guérilla.

         

    J’en ai tellement bavé dans la quatrième section que, maintenant, je rattrape le temps perdu. Je fais également la connaissance du fourrier du camp qui deviendra un bon copain et que j’ai également perdu de vue comme mon pote l’infirmier. 

     

    Il a en charge les rations, les vêtements et les armes de la troupe.

    Avec lui et les infirmiers nous organisons de sacrées parties de rigolade.

    Entre la piscine et les blagues que nous faisons, la vie au camp devient très supportable. Nous avons également dans notre bande un jeunot qui travaille au mess. Il n’a pas fait d’opérations et pour cause. Disons qu’il aurait tendance à être un peu efféminé.

    Il n’empêche qu’il est sympa.

     

    Je me souviens d’une soirée que nous avions organisée dans la piaule des infirmiers. Ce fut mémorable et je ne l’oublierai jamais.

    Figurez-vous que notre pote du mess nous a fait un strip-tease debout sur une table avec une musique de transistor en bruit de fond : la grosse rigolade.

    Nous avions l’impression d’être vraiment dans une boîte à Pigalle.

    A la fin de son strip la surprise a été de taille.

    Quand il a balancé son slip, il n’avait rien entre les jambes. Il n’avait que du poil comme une femme.

    Là nous sommes tous restés bouche bée.

    Il avait attaché son service trois pièces derrière les jambes. Visiblement il n’était pas à son coup d’essai. Il n’y a vraiment qu’à l’armée qu’on peut voir des « conneries » pareilles.

     

    J’ai encore une autre histoire du même acabit à vous raconter. Il y avait un copain qui jouait les fakirs. Je ne sais plus dans quelle section il était. Son plaisir était de se traverser la lèvre avec une aiguille à tricoter. C’est impressionnant.

     

    On rencontre vraiment des types incroyables.

     

    C’est également au mois d’avril qu’un tournoi de foot est organisé entre le PC et les autres batteries.

    Nous nous entraînons un peu en dehors des opérations.

    Notre terrain n’est pas terrible. Il y a des cailloux partout. Il vaut mieux ne pas tomber.

    Nous avons fait la photo avec le lieutenant B…Nous nous sommes fait battre en finale du tournoi.

    Je crois que notre lieutenant est passé capitaine à cette époque.

    Le 27 avril le 1er R.E.P est passé sur la nationale.

     

    Le régiment se déplace de Zéralda à Sidi-Bel-Abbes pour être dissout. C’est la fin d’un soulèvement et d’un rêve.     

    Le renouvellement des effectifs se poursuit toujours et moi je suis encore là. A propos d’effectifs, nous ne voyons plus arriver les mêmes gars. Si vous vous rappeler, à mon arrivée, il y avait beaucoup d’ouvriers, d’artisans et de commerçants.

    Maintenant nous voyons arriver des intello.

     

    Certains ont de sacrés bagages. Ils sont simples troufions. Ils ont sans doute refusé de faire EOR car ils sont plutôt antimilitaristes. L’armée ne les a pas ratés, elle les a mutés dans un commando pour leurs faire les pieds.

     

    Les gars me racontent leurs opérations. Ils partent beaucoup moins longtemps. Ce n’est plus du tout comme avant.

    On sent très nettement la fin de cette putain de guerre.

    Avec les anciens j’ai appris à jouer au tarot. Avec les nouveaux je me suis mis au bridge.

    Vous voyez la différence.

     

    Vu l’état d’esprit de ces jeunots, on sent déjà poindre les contestations de 1968.

     

    Au fait pourquoi je les appelle des jeunots ? Certains sont sursitaires depuis pas mal de temps et donc plus vieux que moi. C’est sans doute à cause de mon ancienneté de baroudeur.

    En général nos parties de bridge s’effectuent entre deux opérations, l’après-midi, et durent parfois des heures.

     

    LES DERNIERS JOURS

     

     

    Les beaux jours sont là et il commence à faire chaud. Maintenant je me ballade toute la journée en short ou en maillot de bain et une vieille paire d’espadrilles aux pieds.  Quand le soleil tape, il tape. Nous bronzons très vite et à la fin de l’été nous sommes vraiment noirs.

    A l’époque je n’avais pas besoin de crème solaire ou autre artifice. Je n’attrapais pas de coups de soleil. Je bronzais tout de suite.

    Nos vacations radio ne nous prennent pas beaucoup de temps si bien que nous passons nos journées à bouquiner et à jouer aux cartes.

    C’est la belle vie.

    Je rattrape le temps perdu dans le bled.

    Nous écoutons la radio sur nos postes. Il faut bien qu’ils servent à quelque chose.

     

    Comme ils sont assez puissants, nous captons des stations que les autres n’ont pas avec leurs petits transistors. A l’époque nous étions tous des fans de jazz.

    Je ne ratais pas une émission de Daniel Filipacchi.

    Ce n’est pas toujours très bon pour le moral quoiqu’en disent certains.

    Enfin je commence à compter les jours qui me séparent de la quille. J’ai récupéré un calendrier et je coche les jours comme tout un chacun.

    Au « père cent », nous avons fait un gueuleton au restaurant de Rouina.

    Le « père cent » est le jour qui indique qu’il ne vous reste plus que cent jours à faire. Je commence à être nerveux. Bon dieu pourvu qu’il n’y ait pas de grèves de trains.

    Au fait, j’ai oublié de vous dire que j’avais finalement acheté mon appareil photo avec mes petites économies. J’ai rendu mon paquetage commando. Ca me fait tout drôle de remettre un calot après avoir porté le béret noir pendant deux ans.

    Mon voyage de retour s’est très bien passé.

    Je crois que je l’ai fait sur le bateau El Djesaïr dans une cabine ou sur le pont. Je ne m’en rappelle plus.

    Je me suis coltiné encore des heures et des heures de train avant de retrouver définitivement ma famille.

    Inutile de vous dire la joie de mes parents qui m’avoueront, plus tard, que j’avais beaucoup changé.

     

    L’essentiel est, malgré tout, de revenir en un seul morceau. N’est-il pas vrai ?

    J’ai quand même mis plusieurs mois à m’en remettre. J’avais perdu tous mes repères.

     

     

    C’EST LA VIE

     

     

    EPILOGUE

     

     

    Connaissez-vous le site internet Google Earth ?

    C’est un site géographique qui me sert souvent pour visiter des petits coins sympa de France et d’ailleurs.

    Il y a quelque temps je me suis lancé dans la recherche de ces coins d’Algérie que j’ai connus il y a  cinquante ans.

    J’ai tout retrouvé : Kherba, Rouina, l’Ouarsenis et le barrage de l’oued Fodda.

    Apparemment Kherba et Rouina sont devenus des villes importantes. La ferme des « Grosses Têtes » où nous étions cantonnés à Rouina existe toujours avec quelques bâtiments en plus. Par contre on ne voit plus l’habitation principale ni la piscine.

     

     

    J’ai souvent été tenté de retourner là-bas pour revoir tous ces endroits de souvenirs intenses. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne thérapie pour ne plus en rêver la nuit.

     

    Laissons faire le destin, on verra bien.

     

    Peut-être dans une autre vie …

     


  • Commentaires

    1
    brahim foussali
    Mardi 14 Décembre 2010 à 00:39
    kherba
    bonjour.J'ai lu avec interet votre recit.Je suis là pour corrige quelques imprecisions.Kherba ne s'appelle plus kherba depuis 1974, mais EL AMRA .C'est à dire la pleine ,l'opulente .ANAY n'est pas vraiment le nom du mont au nord de Kherba ,mais c'est ANNEB. Merci pour la contribution à la memoire conciliative.
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